Actu et Management

Le démembrement des ARS et le transfert du secteur médico-social aux conseils départementaux : la Cndepah alerte sur les risques


Publié le Lundi 24 Novembre 2025 à 11:49

Communiqué de presse de la Conférence Nationale des Directeurs d'Établissements pour Personnes Agées et personnes Handicapées (Cndepah).




A l’occasion de son discours prononcé à Albi à l’occasion des assises des départements de France, le 14 novembre dernier, le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé une réforme en profondeur des ARS et un nouvel acte de décentralisation « qui sera non pas un deal mais une rupture ».
 
« J'ai eu l'occasion de le dire à la fin de la crise covid, je pense que le temps est venu de réformer en profondeur les ARS et les agences régionales de santé. D'affirmer la part régalienne du sanitaire, les analyses de l'eau, la gestion des grandes épidémies, de permettre au préfet d'en être le responsable, car c'est lui qui, de par la Constitution, est le représentant de l'État et le représentant du Gouvernement en région et dans les départements. » Il a également déclaré : « Mais comment peut-on expliquer que la planification des soins de proximité soit encore gérée par une agence régionale, là où les conseils départementaux, de toutes les évidences, par ce qu'ils ont accompli ces dernières années sur les maisons de santé pluridisciplinaires, peuvent le faire ? » Il a conclu « je vais être très direct. Si on fait du conseil départemental la collectivité des solidarités, la collectivité du médico-social et la collectivité, à certains égards, à voir comment on le clarifie entre nous, du sanitaire, il est donc logique que les conseils départementaux perçoivent une part de CSG ».
 
« Je pense que le temps est venu de réformer en profondeur les ARS [...] C'est avec les conseils départementaux que nous allons tenter d'écrire le premier chapitre de la réforme de l'État et notamment la grande clarification autour des questions sociales, médico-sociales et sanitaires ».
 
Si le rapport Libault notamment, comme celui Pires Beaune, appelait à une clarification de la gouvernance des politiques du grand-âge (GA), force est de constater que le centre de gravité de la gouvernance a plutôt glissé, ces dernières années, vers les ARS.
 
Bien sûr, avec une régularité certaine, l’Association des départements de France (ADF) a revendiqué le pilotage unique des établissements et des directeurs du champ personnes âgées (PA). Pour autant, les signaux récents de ces dernières années nous ont tous laissé à penser que telle ne serait pas la direction des arbitrages à venir.

Le discours du Premier ministre suscite donc incompréhensions :

La crise Covid a incontestablement placé les ARS comme pierre angulaire du pilotage des politiques et des établissements et services des champs PA et PH.
 
La fusion, à titre expérimental, des sections soins et dépendance des Ehpad concerne 23 départements, tous volontaires. La ministre de la santé Vautrin alors en charge du dossier en a appelé la généralisation dès 2027, confiant par conséquent la gestion de l’ensemble des crédits d’autonomie aux ARS et par voie de conséquence le pilotage des établissements.
 
Les Ehpad sont appelés à renforcer leur « médicalisation », en réponse à une évolution très palpable de la demande des publics accompagnés. Ce renforcement s’inscrit dans un contexte d’hôpitaux tendus, dont les urgences ont besoin d’être autant que possible soulagées. Le maillage des filières gériatriques de leur territoire d’implantation avec la totalité des acteurs du grand âge est par ailleurs de la responsabilité des centres hospitaliers porteurs de la filière. Il est essentiel de préserver ce lien.
 
Donner la compétence aux conseils départementaux (CD) du renforcement de cette médicalisation n’est ni dans l’ADN des CD ni dans la logique d’une transversalité cohérente avec les centres hospitaliers.

Les mesures annoncées comportent des risques :

L’éclatement du secteur (rappelons que le secteur public MS est porté, pour la presque moitié de ses lits, par le secteur sanitaire) majorant donc les difficultés de pilotage de ces établissements L’éclatement du secteur entre le sanitaire dit de proximité (sans que ce périmètre en soit vraiment déterminé) Les iniquités territoriales : la fusion des sections Soins et Dépendance est parvenue à la détermination d’un tarif national unique, prenant favorablement la suite de tarifs départementaux et garantissant une équité entre les territoires. Rappelons qu’en 2024, les écarts entre les différents tarifs dépendance restent importants. Pour mémoire, la CNSA a publié les données récentes suivantes : En 2024, la valeur moyenne du point GIR départemental, hors Guyane et Saint-Pierre-et- Miquelon, est de 7,65 €, en hausse de 2,5 % par rapport à 2023.Sur la période 2018-2024, la hausse de la valeur moyenne est de 7,5 %. Par comparaison, la valeur du point GMPS, servant au calcul de la dotation soins des EHPAD, a augmenté de 3,0 % en 2024 et de 11,1 % sur 6 ans. La valeur médiane du point GIR 2024 est de 7,57 € en 2024, contre 7,38 € en 2023.La valeur maximale est constatée pour la Corse (9,47 €).La valeur minimale est observée dans les Alpes-de-Haute-Provence (6,70 €). L’écart reste important entre la valeur la plus élevée et la valeur la plus basse (41 %).
Pour les EHPAD majoritairement habilités à recevoir des résidents bénéficiaires de l’aide sociale (les établissements publics et associatifs), nous avons constaté au cours des 4 dernières années une dynamique insuffisante des tarifs hébergement pour venir compenser l’augmentation des coûts. Dans un contexte de finances particulièrement contraintes des conseils départementaux, qui, rappelons-le, n’ont pas la possibilité juridique de présenter un budget en déficit, les prix de journée ont traduit cette dynamique insuffisante. Le vecteur principal des recettes des Ehpad (60% des recettes) n’a donc pas évolué au même rythme que l’inflation de manière très marquée, là où les crédits d’assurance maladie ont traduit un effort significativement plus conséquent. Ainsi, les sections soins restent majoritairement en excédent ou à l’équilibre contrairement aux sections hébergement ce qui explique entre très grande partie le déficit global des établissements. La mise en place récente des tarifs différenciés a mis en évidence ce que nous savions tous : c’est l’incapacité financière des CD à assumer des prix de journée suffisants qui a prévalu principalement à leur mise en place. Nous assistons au fonds, par le truchement d’un décret et sans débat démocratique à un transfert du financement des Ehpad des CD vers les résidents et leurs familles. Les Ehpad n’ont d’autre choix que d’y recourir, mais la Cndepah alerte sur les impacts à moyen et long terme des tarifs libres comme variables d’ajustement de la soutenabilité budgétaire des établissements. La question du Reste à charge (RAC) semble bien oubliée. La fin potentielle de la branche autonomie. En annonçant le versement direct d’un part de CSG aux départements, le PM annonce implicitement la fin de la 5ème branche et celui, par voie de conséquence, de la CNSA. Cela pourrait d’apparenter à un abandon d’une politique nationale du GA. La régulation des dépenses du Grand-âge et du handicap comme variable d’ajustement des politiques des CD : La situation budgétaire et financière des CD ne permettra vraisemblablement pas d’assumer la situation financière actuelle très dégradée des établissements et services qui constituera une charge sans doute impossible à assumer pour les CD. Cela deviendra d’autant plus criant à la faveur du mur démographique des années à venir. Comment imaginer des CD en capacité à faire face à ces défis d’offre et d’équilibre budgétaire...

L’accompagnement financier par l’Etat et l’assurance maladie

Régulièrement, des crédits d’assurance maladie sont venus porter soutien aux établissements de type Ehpad.
 
Rappelons en premier lieu que les OGD PA et PH dans une moindre mesure, tout en restant insuffisants, ont permis d’amortir un peu l’effet de ciseau entre les dépenses et les recettes. Les taux de reconduction ont ainsi inclus une compensation de l’inflation.
 
Rappelons la compensation de la convergence négative dépendance, mobilisée jusqu’en 2024 (110 millions annuels fléchés dans l’OGD PA).
 
Rappelons que les crédits d’assurance maladie ont également permis de concourir à l’atténuation des déficits et des insuffisances de trésorerie par le biais du fonds d’urgence ou du fonds de soutien, compensant de fait des insuffisances de financements des trois sections sans distinction, ce que très peu de CD ont fait.
 
Rappelons toujours que les ODG personnes âgées, tout en restant insuffisant, ont permis d’amortir un peu l’effet de ciseau depuis notamment 2022 entre les recettes et les dépenses. Les taux de reconduction ont ainsi inclus une compensation de l’inflation.
 
Rappelons aussi que les crédits d’assurance maladie incluent les revalorisations salariales de la fonction publique hospitalière (mesures Ségur, dégel de la valeur du point indiciaire). 30 à 35% des recettes d’un Ehpad (soit la part relative du forfait soins dans l’ensemble des recettes) ont donc permis d’absorber les impacts haussiers des dépenses de personnel, ce qui n’a été aucunement le cas pour les tarifs Dépendance et surtout Hébergement.
 
Enfin, les Ehpad bénéficient, et notamment au titre des crédits Ségur, d’un soutien à l’investissement important et déterminant pour la réalisation des opérations absolument nécessaires d’adaptation et de modernisation du parc médico-social. 1,5 milliards d’euros ont été fléchés depuis le Ségur. Est-il raisonnable de penser que les CD seront en capacité de poursuivre cet effort ?

Le risque de défléchage des crédits délégués

Si la décentralisation intégrait la totalité du secteur Médico-social, c’est une partie de la CSG qui serait alors directement transférée vers les CD. Quels seraient alors les garanties, les garde-fous ou les contre-pouvoirs d’une affectation à due concurrence dans le champ décentralisé. C’est le risque ainsi majeur d’un dévoiement de crédits dans un contexte de durcissement du prélèvement au titre du Dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités (DILICO) qui positionne les CD dans une véritable incertitude.

Le détricotage des politiques régionales et départementales :

L’ARS pilote les DAC, les CRT, les SSIAD aujourd’hui et demain, avec les CD, les SAD. Les CPTS, partenaires importants de l’organisation de l’offre de soins de premiers recours dressent leurs feuilles de route sous l’égide de l’ARS et sont un vrai outil permettant aux établissements de s’organiser avec le monde libéral.
 
Il faut sans aucun doute reconnaître que le millefeuille des opérateurs et des territoires ne saurait constituer un sujet de satisfaction. La prochaine entrée en fonction des SPDA n’apportera pas la clarté attendue dans une offre plurielle et insuffisamment structurée. Pour autant, laisser à penser que la départementalisation des politiques du grand âge comme celles de la santé de proximité est la réponse adaptée à ce manque de cohérence fait l’impasse sur la place qu’a réellement su occuper les conseils départementaux dans leur rôle, consacré par la loi, de chef de file du secteur.

Conclusion

Les risques sont majeurs, à l’évidence.
 
Il ne s’agit pas de méconnaître les évolutions et adaptations toujours nécessaires des ARS. Mais succomber au chant de solutions simplistes voire caricaturales ne saurait constituer une solution.
 
Mettre à mal la cohérence globale d’une politique de prévention, d’accompagnement et de soins, qui, on le sait tous peut encore être améliorée, au nom d’une clarification est contreproductif. Fragmenter la santé entre la proximité et le recours, dissocier les organisations sanitaires de recours des organisations médico-sociales n’a pas de sens.
 
La Cndepah rappelle par ce communiqué son attachement certes à une simplification de la gouvernance du secteur MS mais souhaite rappeler l’inefficacité et l’incohérence à transférer le pilotage et la gouvernance du secteur médico-social aux conseils départementaux, qui ne sont par ailleurs aucunement prêts à l’accueillir.
À lire aussi !