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Dénutrition : comment inverser la tendance ?


Publié le Jeudi 11 Juin 2020 à 16:36

Présidente de la Fédération Française de Nutrition (FFN) et membre de la Société Française de Nutrition Clinique et Métabolisme (SFNCM), le Professeur Agathe Raynaud-Simon est médecin gériatre aux hôpitaux Bichat et Beaujon (AP-HP). Elle revient, pour Ehpadia, sur les enjeux de la dénutrition chez les personnes âgées.


Le Professeur Agathe Raynaud-Simon est médecin gériatre aux hôpitaux Bichat et Beaujon (AP-HP). ©DR
Le Professeur Agathe Raynaud-Simon est médecin gériatre aux hôpitaux Bichat et Beaujon (AP-HP). ©DR
Pourquoi doit-on faire particulièrement attention à l’alimentation des personnes âgées ?
Pr Agathe Raynaud-Simon : 
Le risque de dénutrition représente un enjeu particulièrement prégnant chez les personnes âgées, avec des conséquences qui peuvent être délétères. En effet, lorsque l’on vieillit, la perte de poids intervient surtout au niveau de la masse musculaire, encore davantage que chez les sujets jeunes, plutôt que de la masse graisseuse. Les muscles deviennent moins performants, il est plus difficile de marcher ou de se mouvoir, ce qui augmente le risque de chute et accélère l’entrée dans la dépendance. Cette perte de poids peut par ailleurs s’accentuer lors d’un épisode médical, ce qui met en jeu le pronostic fonctionnel et aussi le pronostic vital : le risque de décès est plus important pour une personne âgée hospitalisée qui perd plus de 3 kg, que pour quelqu’un dont le poids reste stable. La dénutrition augmente également les risques de complications médicales : les infections nosocomiales interviennent chez environ 4 % des malades non dénutris, mais peuvent toucher jusqu’à 14 % des patients dénutris.

À quoi cette perte de poids peut-elle être due ?
Pr Agathe Raynaud-Simon : Au cours du vieillissement, les femmes et les hommes ont déjà naturellement tendance à diminuer leurs apports caloriques et protéiques, alors même que le risque d’avoir des problèmes de santé augmente. La dénutrition, chez un sujet jeune, est le plus souvent liée à une maladie sévère. Chez les personnes âgées, la dénutrition peut être la conséquence d’une pathologie, mais elle peut aussi être la conséquence d’une accumulation de facteurs de risque, comme des problèmes bucco-dentaires, une insuffisance cardiaque, des troubles de la marche, etc. Lorsqu’une personne âgée perd du poids, il convient donc d’en rechercher en premier lieu les causes sous-jacenteset de les prendre en charge, dans la mesure du possible. Il faut en même temps proposer une prise en charge nutritionnelle, pour corriger la dénutrition. 

Cela est d’autant plus nécessaire que vous disposez d’un niveau de preuve important sur le lien entre meilleure alimentation et amélioration de la situation clinique. 
Pr Agathe Raynaud-Simon : Une alimentation enrichie limite en effet la probabilité d’hospitalisation chez une personne âgée maintenue à domicile ou accueillie en institution. À l’hôpital, elle a un impact direct sur certaines complications, comme évoqué plus haut, et donc sur la durée moyenne des séjours. En sortie d’hospitalisation, elle diminue la probabilité d’une ré-hospitalisation dans le mois. Il faut donc que les soignants et les aidants soient à la fois sensibilisés à la nécessité de dépister la perte de poids et aux bonnes pratiques nutritionnelles.

Que préconisez-vous ?
Pr Agathe Raynaud-Simon : Je privilégie le pragmatisme : plutôt qu’un suivi des ingesta, qui est relativement fastidieux, une pesée régulière suffit pour savoir si les apports nutritionnels sont suffisants. Le prérequis est ici simple : une personne âgée ne doit pas perdre de poids. Elle ne doit donc pas restreindre son alimentation, notamment en termes de protéines : contrairement aux idées reçues, ses besoins sont ici supérieurs par rapport aux sujets jeunes. Elle doit également conserver une activité physique régulière pour prévenir la perte musculaire – une supplémentation en vitamine D peut d’ailleurs être utile. Quand une perte de poids survient pour x raison, il convient de faire réaliser un bilan médical tout en adaptant l’approche nutritionnelle. Une attention forte doit être apportée aux préférences alimentaires, quitte à enrichir les repas avec des aliments denses en protéines, par exemple un œuf dur mixé dans un potage. Si la tendance ne s’inverse pas, on peut recourir aux compléments nutritionnels oraux. Dans la grande majorité des cas, cela suffit. Mais il faut parfois considérer la nutrition artificielle, d’abord entérale ou, plus rarement, parentérale.

Qu’en est-il des personnes accueillies en EHPAD ?
Pr Agathe Raynaud-Simon : Ces établissements ont, pour la plupart, pris à bras-le-corps la problématique de la dénutrition et engagé un certain nombre d’actions en ce sens : les résidents prennent leurs repas en salle à manger, dans une ambiance conviviale, où ils sont d’ailleurs étroitement accompagnés par les soignants, la présentation des plats est plus soignée, les équipes culinaires sont mieux formées sur le plan des apports protéino-caloriques et des textures, etc. Certains établissements se sont en outre équipés de couverts ergonomiques, pour que les résidents, y compris ceux atteints de troubles cognitifs ou de handicaps, puissent s’alimenter seuls et à leur rythme. D’autres ont adopté des approches comme le « manger-mains », qui vise le même objectif. Toutes ces initiatives vont dans le bon sens, même si la situation reste assez hétérogène sur le terrain. 

Est-il aisé de prévenir la perte de poids en EHPAD ?
Pr Agathe Raynaud-Simon : La marge de manœuvre y est moindre qu’au domicile car les résidents sont très âgés et souvent assez malades. La tendance est plus difficile à inverser. Elle n’en est pas moins possible, et c’est justement ce à quoi nous nous employons à sensibiliser les équipes. Le nouveau Plan National Nutrition Santé (PNNS 2019-2023) donne d’ailleurs des objectifs précis en termes de dépistage et de prise en charge de la dénutrition chez les personnes âgées. En parallèle, le ministère de la Santé organisera la première « Semaine de la Dénutrition » du 12 au 19 novembre 2020 qui, nous l’espérons, permettra de relayer ces messages auprès des professionnels de santé et du grand public.


Par Joëlle Hayek. Article paru dans Ehpadia #19 (avril 2020).



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