Pharmacie / Hygiène

Les mesures barrière à la lumière de l’histoire


Publié le Mercredi 10 Février 2021 à 14:13

L’épidémie due au SARS-CoV-2 a donné un coup de projecteur sans précédent sur les gestes barrière, les faisant entrer dans le langage commun alors qu’ils n’étaient, jusque-là, qu’une affaire d’experts. Si le terme en tant que tel n’a été composé qu’il y a une petite quinzaine d’années, certaines mesures, à l’instar de la distanciation sociale, du port du masque et du lavage des mains, ont acquis leurs lettres de noblesse il y a déjà plusieurs siècles. Petit voyage dans le temps.


Désignant toutes les actions individuelles et collectives susceptibles de ralentir la progression d’une épidémie, les comportements-barrière ont été pratiqués dès l’Antiquité, avant d’être repris à plus grande échelle lors des vagues successives de peste noire à partir du milieu du XIVème siècle. Même si le rôle des microbes n’avait pas encore été identifié – il faut pour cela attendre la fin du XIXème siècle et les découvertes de Louis Pasteur –, le bon sens a poussé le public à les considérer efficaces contre certaines maladies que l’on ne qualifiait pas encore d’infectieuses. Trois ont en particulier concentré toutes les attentions.

Distanciation sociale et port du masque

Médecin durant une épidémie de peste à Rome au XVIIème siècle (gravure de Paul Fürst, 1656).
Érasme et ses contemporains ont ainsi prôné l’éloignement physique pour se protéger contre la syphilis, identifiée en tant que maladie en Europe à la fin du XVème siècle. Dans ses Colloques parus en 1529, le philosophe et humaniste hollandais évoque ainsi la défense, « de boire dans un gobelet commun », « de coucher à deux dans un même lit » et de « saluer par un baiser ». Il recommande également de « faire comme les alchimistes, de prendre un masque qui permette aux yeux de voir par de petits trous vitrés ». Une intuition reprise près de deux cents ans plus tard par Charles de Lorme qui, au XVIIème siècle, imagine le fameux masque « à bec de canard », garni de plantes aux propriétés désinfectantes, pour protéger les médecins de la contamination aérienne par la peste. Le dispositif s’affine au fil des années et des épidémies, jusqu’à s’introduire dans le milieu hospitalier à la suite des travaux de Pasteur – encore lui. 
Pour parer au danger d’une contagion infectieuse par les voies respiratoires, en particulier la diphtérie, le Docteur Henri Henrot imagine par exemple dès 1868 un masque respiratoire composé « d’une armature emprisonnant le nez et la bouche, et fermée à l’extérieur par deux toiles métalliques entre lesquelles on place des rondelles de coton. Tous les germes infectieux restent attachés à ces rondelles et l’air est ainsi rigoureusement filtré », décrit en 1915 le quotidien français Le Temps. Mais le port du masque peine à séduire le grand public, alors même qu’il est recommandé par l’Académie de Médecine lors des deux épidémies de grippe de 1918 – la fameuse Grippe Espagnole – et 1929. Est notamment évoquée son incompatibilité avec la mode parisienne, comme le souligne – avec un certain mordant – le quotidien Le Gaulois en 1919 : « Les Parisiennes consentiront-elles à se défigurer pour sauvegarder leurs bronches ? J’ai bien peur qu’elles ne prennent ce masque-là en grippe ».
 

Hygiène des mains

Au XVIIIème siècle, le chirurgien lyonnais Claude Pouteau met en place une série de mesures, dont le lavage des mains, pour éviter que ses patients ne développent une gangrène. Mais malgré des résultats probants, ces pratiques disparaissent avec lui. Un siècle plus tard, Ignace Semmelweis, un médecin obstétricien, découvre l’importance de se désinfecter les mains. Il s’était en effet rendu compte que, dans l’une des maternités de l’hôpital de Vienne où il exerçait, 3 % des femmes mourraient en couche, alors que dans l’autre le taux de décès était compris entre 10 et 40 %. C’est que dans la première les accouchements étaient réalisés par des sages-femmes, et dans la seconde par des étudiants en médecine, qui disséquaient également des cadavres. Il décide alors de prôner le lavage des mains après chaque autopsie. Nous étions en 1847. La mortalité est immédiatement réduite mais Semmelweis fait face à une fronde de la part des autres médecins, peu acquis à ses idées. Il est renvoyé et finit ses jours dans un hôpital psychiatrique. 

De Louis Pasteur à Didier Pittet

Louis Pasteur, par Nadar.
Les travaux de Semmelweis ont toutefois ouvert la voie à la pensée hygiéniste, notamment incarnée par Louis Pasteur. À la fin du XIXème siècle, ses découvertes sur les microbes permettent de prouver scientifiquement le lien entre infection et hygiène. Il préconise la stérilisation, le nettoyage des instruments médicaux par le feu et la propreté des mains. À partir de là s’opère une vraie rupture dans les pratiques d’hygiène. En quelques décennies, le lavage des mains s’étend à tous, favorisé par l’émergence de l’eau courante dans les logements et par de grandes campagnes de santé publique. Durant l’entre-deux guerres, et surtout à partir des années 1950, les cours d’hygiène se développent dans les écoles. Mais tout n’est pas pour autant tout rose. Malgré les consignes de lavage des mains des soignants, les hôpitaux font face à plusieurs cas d’épidémies transmises aux patients. 
Au début des années 1990, le Professeur Didier Pittet, médecin épidémiologiste aux Hôpitaux Universitaires de Genève, en Suisse, a une intuition : et si l’hygiène des mains était beaucoup trop chronophage pour être pratiquée dans les règles de l’art ? Il a l’idée de remplacer l’eau et le savon par du gel élaboré à partir d’alcool, un puissant antiseptique. Sa rencontre avec le pharmacien William Griffiths est déterminante : le gel hydro-alcoolique naît en 1995. Au début des années 2000, sa formule est gratuitement mise à disposition de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre. Cinq cents ans après les préconisations d’Érasme en faveur de la distanciation sociale, trois cents après le masque imaginé par Charles de Lorme, et près de deux cents après le combat de Semmelweis pour promouvoir l’hygiène des mains, ces trois mesures restent, en 2021, nos principales armes pour ralentir la progression de l’épidémie du SARS-CoV-2 – jusqu’à la généralisation du vaccin, quatrième et dernière principale mesure barrière.

 


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