Quelle était la vocation de votre rapport et comment l’avez-vous mené ?
Claire Hédon : L’institution du Défenseur des droits poursuit deux missions principales, qui sont de rétablir les personnes dans leurs droits mais aussi, à partir du moment où nous sommes témoins de difficultés récurrentes, de les mettre en lumière auprès des autorités compétentes et d’élaborer, formuler, des recommandations. Ce rapport en est l’illustration parfaite, puisqu’il s’appuie sur plus de 900 réclamations de personnes qui contestent les modalités d’un accompagnement médico-social (80 % incriminent des EHPAD), dont 200 directement liées à la crise sanitaire. Partant de ces réclamations, nos équipes ont mené des entretiens avec des associations, des syndicats, des fédérations professionnelles et des ARS, ce qui a donné lieu à la rédaction de ce rapport et de ses 64 recommandations.
Vous soulignez notamment une accélération des signalements émis pendant la crise sanitaire. Quel impact a plus précisément eu cette dernière sur vos conclusions ?
Il y a certes eu une accélération du nombre de réclamations dès le début de la crise sanitaire, mais il est important de comprendre que l’idée-même de ce rapport est née avant. La période n’a fait que mettre en exergue des difficultés préexistantes. C’est notamment flagrant sur les questions du maintien des liens familiaux, du droit d’aller et venir, et du respect du consentement. Si nous devons saluer l’investissement des directions et membres du personnel d’EHPAD qui ont tenté de faire de leur mieux par endroits, la « protection » est allée trop loin, au détriment des libertés. Encore très récemment, nous avons été saisis à propos de conditions de visites très restrictives, d’interdictions de sorties ou de mises à l’isolement, alors même que les personnes étaient vaccinées. De façon générale, je crois que les restrictions apportées aux droits et aux libertés sont toujours inquiétantes. Lorsqu’elles ont lieu d’être, notamment au moment d’un état d’urgence tel que nous l’avons connu, elles doivent être prévues par la loi, mais aussi mises en œuvre dans le respect de ce cadre, et être strictement limitées dans le temps et proportionnées à l’objectif poursuivi. Et lorsque des personnes vaccinées ne peuvent toujours pas sortir de leur établissement, nous ne pouvons honnêtement pas parler de mesures proportionnées.
Suite à la publication de votre rapport, le SYNERPA a regretté un portrait peu représentatif de ce qui est fait dans la majorité des EHPAD et une « mise au pilori injuste notamment dans la gestion de la crise COVID ». Qu'avez-vous à y répondre ?
Nous ne cherchons pas à montrer du doigt des professionnels, mais notre rôle est de révéler des pratiques qui vont à l’encontre du droit. De fait, une institution comme la nôtre est le témoin de ce qui ne va pas. Pour ma part, j’ai plutôt le sentiment que ce rapport et la mise en lumière de la question des droits fondamentaux des personnes âgées qu’il a permise, ont été unanimement bien accueillis par le secteur. Je le redis, l’engagement des professionnels est à saluer. Je considère, d’ailleurs, que les directeurs et directrices ont été laissés très seuls face aux décisions à prendre, et ont dû faire de leur mieux avec des consignes peu claires. Je tiens enfin à rappeler que plus des quatre cinquièmes de nos recommandations s’adressent au ministère, aux ARS, et aux conseils départementaux.
Au-delà de cette période de crise sanitaire, votre bilan met en avant de nombreux manquements au respect des droits fondamentaux des personnes âgées en EHPAD. Quels constats vous ont le plus marquée ?
Ce qui est assez impressionnant dans le traitement des réclamations, c’est de se rendre compte que ces atteintes aux droits questionnent l’effectivité-même d’un certain nombre de principes qui paraissent pourtant fondamentaux, que ce soient le droit à l’information de la personne accueillie, le principe du libre choix, le droit à la santé, le droit à la vie privée et familiale et à l’intimité, etc. Et ce que l’on peut observer, c’est que ces atteintes sont, pour l’essentiel, la conséquence d’un manque de moyens humains ou de carences organisationnelles. Pourtant, les droits et libertés des résidents ne peuvent pas être la variable d’ajustement face au manque de moyens et de personnels au sein des EHPAD !
Ces conclusions concernant les freins institutionnels à un accompagnement adapté des personnes âgées font écho aux différents rapports remis aux autorités ces dernières années. Désormais, le secteur attend des engagements…
Vous avez raison de dire que les enjeux sont posés et qu’il faut désormais agir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous effectuerons un suivi de ce rapport, permettant d’évaluer si les recommandations sont appliquées, pourquoi elles ne le sont pas lorsque c’est le cas, et ce qu’il reste à faire. La question de la maltraitance ne peut pas être mise sous la responsabilité des personnels s’ils n’ont pas les moyens nécessaires pour mener à bien leur travail. C’est pourquoi, au sujet des taux d’encadrements, nous préconisons 8 soignants pour 10 résidents. C’est un ratio encore faible si on le compare à celui de pays comme l’Allemagne ou le Danemark, qui sont à 10 équivalents temps plein (ETP), voire plus, mais c’est un début… Un minimum sans lequel il ne peut y avoir de bientraitance. La question de la transparence sur le fonctionnement des établissements est également un point très important. Qu’il y ait à un moment des dysfonctionnements ou des évènements indésirables est une chose, mais les familles ne pourront se sentir en confiance que s’ils ont été signalés.
Au-delà de la question des moyens, se pose également celle du regard porté par notre société sur le grand âge…
Effectivement, il reste de nombreux stéréotypes à déconstruire et une réflexion à mener à propos de la place des personnes âgées dans notre société. Nous avons tendance à les percevoir sous le seul angle de la vulnérabilité. Mais à trop vouloir protéger les personnes, on en arrive à les stigmatiser. Une des questions que soulève notre rapport est la nécessité de rappeler que les résidents d’EHPAD ont les mêmes droits que tous. Et si cela ne devait être un fait acquis, ce serait inquiétant pour nous tous. Ce changement de regard ne sera pas une évidence. Il passera aussi par les moyens que l’on se donne, et si l’on décide d’en faire une priorité !
- À lire : Le rapport « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD » sur www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-ehpad-num-29.04.21.pdf .
Claire Hédon : L’institution du Défenseur des droits poursuit deux missions principales, qui sont de rétablir les personnes dans leurs droits mais aussi, à partir du moment où nous sommes témoins de difficultés récurrentes, de les mettre en lumière auprès des autorités compétentes et d’élaborer, formuler, des recommandations. Ce rapport en est l’illustration parfaite, puisqu’il s’appuie sur plus de 900 réclamations de personnes qui contestent les modalités d’un accompagnement médico-social (80 % incriminent des EHPAD), dont 200 directement liées à la crise sanitaire. Partant de ces réclamations, nos équipes ont mené des entretiens avec des associations, des syndicats, des fédérations professionnelles et des ARS, ce qui a donné lieu à la rédaction de ce rapport et de ses 64 recommandations.
Vous soulignez notamment une accélération des signalements émis pendant la crise sanitaire. Quel impact a plus précisément eu cette dernière sur vos conclusions ?
Il y a certes eu une accélération du nombre de réclamations dès le début de la crise sanitaire, mais il est important de comprendre que l’idée-même de ce rapport est née avant. La période n’a fait que mettre en exergue des difficultés préexistantes. C’est notamment flagrant sur les questions du maintien des liens familiaux, du droit d’aller et venir, et du respect du consentement. Si nous devons saluer l’investissement des directions et membres du personnel d’EHPAD qui ont tenté de faire de leur mieux par endroits, la « protection » est allée trop loin, au détriment des libertés. Encore très récemment, nous avons été saisis à propos de conditions de visites très restrictives, d’interdictions de sorties ou de mises à l’isolement, alors même que les personnes étaient vaccinées. De façon générale, je crois que les restrictions apportées aux droits et aux libertés sont toujours inquiétantes. Lorsqu’elles ont lieu d’être, notamment au moment d’un état d’urgence tel que nous l’avons connu, elles doivent être prévues par la loi, mais aussi mises en œuvre dans le respect de ce cadre, et être strictement limitées dans le temps et proportionnées à l’objectif poursuivi. Et lorsque des personnes vaccinées ne peuvent toujours pas sortir de leur établissement, nous ne pouvons honnêtement pas parler de mesures proportionnées.
Suite à la publication de votre rapport, le SYNERPA a regretté un portrait peu représentatif de ce qui est fait dans la majorité des EHPAD et une « mise au pilori injuste notamment dans la gestion de la crise COVID ». Qu'avez-vous à y répondre ?
Nous ne cherchons pas à montrer du doigt des professionnels, mais notre rôle est de révéler des pratiques qui vont à l’encontre du droit. De fait, une institution comme la nôtre est le témoin de ce qui ne va pas. Pour ma part, j’ai plutôt le sentiment que ce rapport et la mise en lumière de la question des droits fondamentaux des personnes âgées qu’il a permise, ont été unanimement bien accueillis par le secteur. Je le redis, l’engagement des professionnels est à saluer. Je considère, d’ailleurs, que les directeurs et directrices ont été laissés très seuls face aux décisions à prendre, et ont dû faire de leur mieux avec des consignes peu claires. Je tiens enfin à rappeler que plus des quatre cinquièmes de nos recommandations s’adressent au ministère, aux ARS, et aux conseils départementaux.
Au-delà de cette période de crise sanitaire, votre bilan met en avant de nombreux manquements au respect des droits fondamentaux des personnes âgées en EHPAD. Quels constats vous ont le plus marquée ?
Ce qui est assez impressionnant dans le traitement des réclamations, c’est de se rendre compte que ces atteintes aux droits questionnent l’effectivité-même d’un certain nombre de principes qui paraissent pourtant fondamentaux, que ce soient le droit à l’information de la personne accueillie, le principe du libre choix, le droit à la santé, le droit à la vie privée et familiale et à l’intimité, etc. Et ce que l’on peut observer, c’est que ces atteintes sont, pour l’essentiel, la conséquence d’un manque de moyens humains ou de carences organisationnelles. Pourtant, les droits et libertés des résidents ne peuvent pas être la variable d’ajustement face au manque de moyens et de personnels au sein des EHPAD !
Ces conclusions concernant les freins institutionnels à un accompagnement adapté des personnes âgées font écho aux différents rapports remis aux autorités ces dernières années. Désormais, le secteur attend des engagements…
Vous avez raison de dire que les enjeux sont posés et qu’il faut désormais agir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous effectuerons un suivi de ce rapport, permettant d’évaluer si les recommandations sont appliquées, pourquoi elles ne le sont pas lorsque c’est le cas, et ce qu’il reste à faire. La question de la maltraitance ne peut pas être mise sous la responsabilité des personnels s’ils n’ont pas les moyens nécessaires pour mener à bien leur travail. C’est pourquoi, au sujet des taux d’encadrements, nous préconisons 8 soignants pour 10 résidents. C’est un ratio encore faible si on le compare à celui de pays comme l’Allemagne ou le Danemark, qui sont à 10 équivalents temps plein (ETP), voire plus, mais c’est un début… Un minimum sans lequel il ne peut y avoir de bientraitance. La question de la transparence sur le fonctionnement des établissements est également un point très important. Qu’il y ait à un moment des dysfonctionnements ou des évènements indésirables est une chose, mais les familles ne pourront se sentir en confiance que s’ils ont été signalés.
Au-delà de la question des moyens, se pose également celle du regard porté par notre société sur le grand âge…
Effectivement, il reste de nombreux stéréotypes à déconstruire et une réflexion à mener à propos de la place des personnes âgées dans notre société. Nous avons tendance à les percevoir sous le seul angle de la vulnérabilité. Mais à trop vouloir protéger les personnes, on en arrive à les stigmatiser. Une des questions que soulève notre rapport est la nécessité de rappeler que les résidents d’EHPAD ont les mêmes droits que tous. Et si cela ne devait être un fait acquis, ce serait inquiétant pour nous tous. Ce changement de regard ne sera pas une évidence. Il passera aussi par les moyens que l’on se donne, et si l’on décide d’en faire une priorité !
- À lire : Le rapport « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en EHPAD » sur www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-ehpad-num-29.04.21.pdf .