Connectez-vous S'inscrire
Ehpadia, le magazine des dirigeants d'EHPAD
Pharmacie / Hygiène

Le circuit du médicament en EHPAD décrypté par l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes


Publié le Mardi 8 Juillet 2025 à 14:01

Avec un peu plus de 930 EHPAD pour plus de 8,1 millions d’habitants, la région Auvergne-Rhône-Alpes (ARA) compte parmi les plus vastes et les plus peuplées du paysage médico-social français. Couvrant douze départements, son Agence régionale de santé (ARS ARA) a mis en place plusieurs actions pour accompagner les structures médico-sociales dans l’amélioration de la qualité et de la sécurité du circuit du médicament. Le point avec Jean-Philippe Poulet, responsable du pôle sécurité des activités de soins et vigilances et Marguerite Pouzet, responsable du pôle qualité.


Quelles sont, aujourd’hui, les principales exigences en matière de sécurisation du circuit du médicament en EHPAD ?

Jean-Philippe Poulet : L’objectif premier de la sécurisation du circuit du médicament est de réduire au maximum les erreurs médicamenteuses, en particulier celles liées à l’iatrogénie. La majorité de ces erreurs survient lors de la phase d’administration ou d’aide à la prise, souvent en lien avec l’identitovigilance secondaire – c’est-à-dire l’identification du résident au moment de l’acte de soin. Cette étape est particulièrement fragile, notamment en raison des difficultés de recrutement et du recours fréquent à du personnel intérimaire.

Marguerite Pouzet : C’est un véritable enjeu de santé publique. Moins le personnel connaît les résidents, plus le risque d’erreur d’identification augmente, même si des outils comme les plans de table ou les photographies intégrées au système informatique existent.

Comment l’ARS ARA accompagne-t-elle les EHPAD dans la sécurisation du circuit du médicament ?

Jean-Philippe Poulet : Comme dans d’autres domaines, les ARS interviennent via plusieurs leviers, notamment l’inspection. En Auvergne-Rhône-Alpes, nous avons engagé cette démarche de contrôle qualité bien avant le déploiement du plan national. Ces inspections ne doivent pas être perçues comme des événements contraignants pour les établissements, bien au contraire : elles sont mises en œuvre pour les aider à améliorer leurs pratiques. Pour favoriser cette approche, nous transmettons en amont la grille d’inspection, leur permettant ainsi de réaliser un premier audit interne, d’identifier leurs fragilités et de commencer à les corriger. Un pharmacien inspecteur de l’ARS se rend ensuite sur place pour observer les pratiques et échanger avec les équipes, dans un esprit constructif.

Marguerite Pouzet : Dans les EHPAD, l’accompagnement passe aussi par les CPOM [contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, NDLR] qui intègrent deux indicateurs clés : la réalisation d’une évaluation du circuit du médicament, et l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’amélioration de la qualité. Mais ce ne sont pas les seuls outils mobilisés. Nous organisons régulièrement des webinaires, notamment en partenariat avec le CEPPRAAL, la structure régionale d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients. Nous soutenons aussi le dispositif « IDE de nuit », qui permet à plusieurs EHPAD d’avoir accès à une infirmière d’astreinte ou de garde, disponible la nuit pour des conseils téléphoniques ou une intervention.

En juin 2024, l’ARS ARA a publié une version réactualisée de son guide sur le circuit du médicament en EHPAD. Dans quel contexte s’inscrit cette mise à jour ?

Marguerite Pouzet : Les premiers guides autour de la sécurisation du médicament ont vu le jour dès 2012, à la suite des évaluations initiales dans le secteur médico-social. Depuis, les réglementations ont évolué, rendant indispensable une mise à jour. Cette dernière édition intègre les évolutions législatives et pratiques les plus récentes. Tous les guides, disponibles en ligne sur le site de l’ARS, sont d’ailleurs régulièrement actualisés pour continuer à suivre ces transformations. Cet outil est également un appui dans le cadre de la préparation de l’évaluation quinquennale relative au référentiel HAS (2022).

Au-delà des difficultés de recrutement et de leur impact sur l’identitovigilance, évoqués plus haut, quels autres écueils observez-vous sur le terrain ?

Marguerite Pouzet : Le volet RH est particulièrement crucial dans les EHPAD. Les nouveaux arrivants, tout comme les intérimaires, doivent être formés et sensibilisés aux risques liés au circuit du médicament. Nous accompagnons donc les directeurs et les cadres dans ce sens, afin de notamment renforcer la montée en compétences et structurer les pratiques.

Quel rôle les technologies peuvent-elles jouer dans l’amélioration de la sécurité du circuit du médicament ?

Jean-Philippe Poulet : Les outils numériques apportent un réel soutien, même si le facteur humain reste central. Certaines innovations, comme les tablettes permettant un accès immédiat à l’ordonnance ou à la photo du résident, améliorent la traçabilité et l’identification. En amont, la préparation automatisée des doses à administrer (PDA) est également un levier efficace pour limiter les erreurs. Toutefois, la véritable faiblesse reste le manque de personnel stable et formé : un turn-over, le recours à des intérimaires, ou l’apparition de dérives, même sur des personnes en place depuis des années. D’où l’importance de réaliser régulièrement des audits internes pour analyser les pratiques et renforcer les acquis, dans une logique d’amélioration continue.

Quels sont, selon vous, les principaux points à retenir pour sécuriser efficacement le circuit du médicament en EHPAD ?

Jean-Philippe Poulet : Toutes les étapes, de la prescription à l’administration, sont essentielles, bien que leur maturité varie d’un établissement à l’autre. L’introduction de l’INS (Identité nationale de santé) a, par exemple, nettement renforcé l’identification primaire. Par ailleurs, le nombre de signalements a fortement augmenté ces dernières années, preuve d’une meilleure culture de la déclaration. Plus généralement, depuis une dizaine d’années, les pratiques se sont notablement améliorées. Certaines fragilités persistent, notamment sur le plan RH, mais la progression est bien visible.

Marguerite Pouzet : L’augmentation des déclarations n’est pas le signe d’un système qui se dégrade, bien au contraire : elle illustre une prise de conscience collective et une volonté d’amélioration. Et le numérique est appelé à jouer un rôle d’accélérateur, facilitant à la fois la traçabilité et l’identitovigilance. Si la situation actuelle peut sembler morose, elle est au contraire porteuse d’espoirs pour les années à venir.

> Article paru dans Ehpadia #39, édition d’avril 2025, à lire ici