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"Le secteur du grand âge ne peut se passer d’un texte"


Publié le Mardi 14 Juin 2022 à 09:01

En août 2020, les Professeurs Claude Jeandel et Olivier Guérin ont été missionnés par les pouvoirs publics afin de redéfinir la place des EHPAD et des Unités de Soins Longue Durée (USLD) dans le parcours de santé des personnes âgées. Remis en juillet dernier, leur rapport sur la « prise en soins adaptée aux patients et résidents afin que nos établissements demeurent des lieux de vie » inspire la feuille de route nationale « EHPAD », qui se met actuellement en place. Les explications du Pr Claude Jeandel, co-rapporteur, co-référent de la feuille de route et président du Conseil National Professionnel (CNP) de Gériatrie.


Avec le Pr Olivier Guérin, vous avez rendu, le 5 juillet dernier, un rapport sur les profils et les besoins de soins en EHPAD et en ULSD. Quelles ont été vos méthodes de travail ?
Pr Claude Jeandel : La première étape a été d’établir la typologie précise des résidents et des patients accueillis en EHPAD et en USLD. Réalisée avec la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), une étude objective des profils de résidents a donc été menée à grande échelle. Elle a notamment permis d’objectiver les évolutions, à la fois en termes de profils de soins que de besoins de soins, de manière très factuelle, en se basant sur les données disponibles et en les comparant avec celles des patients admis en soins de longue durée. Cette enquête originale, qui n’avait encore jamais été réalisée, a donc servi de base à nos travaux. Nous nous sommes ensuite attachés à mener des consultations sur le terrain. Il était toutefois difficile de se rendre dans les établissements, eu égard à la situation sanitaire. J’ai donc établi un questionnaire en dix rubriques, qui a permis de recueillir les avis de personnes concernées : les fédérations, les établissements, les professionnels et équipes de soins… Pour aller plus loin, certains de ces témoignages ont d’ailleurs été complétés par des auditions.

À partir de là, vous avez pu émettre 25 recommandations…             
Effectivement, ces recommandations s’appuient aussi bien sur les données de cette étude que sur les réponses à notre questionnaire et les auditions. Mais une grande part était déjà présente dans notre esprit bien avant ces travaux. Nos réflexions se réfèrent en effet à des rapports plus anciens, tel celui de Dominique Libault. Elles sont cohérentes avec les constatations antérieures, tout en intégrant les enjeux mis en exergue par la crise sanitaire : l’importance de l’interface ville-hôpital-EHPAD, l’apport de l’hospitalisation à domicile pour les EHPAD, le développement des équipes mobiles…

Quelles seraient, à votre sens, les principales recommandations issues de votre rapport ?
Il est difficile de n’en retenir que certaines : nos 25 recommandations sont difficilement dissociables et forment un tout puisqu’elles prônent un changement en profondeur de l’EHPAD et des USLD et de leurs modalités de prise en charge. Par exemple, la recommandation 1, qui vise à requalifier pour partie les soins de longue durée en soins prolongés complexes, n’a de sens que si l’on applique les 24 autres portant sur l’EHPAD. Et c’est d’ailleurs là tout l’enjeu : revoir le modèle même de l’EHPAD, le renforcer. Aucune recommandation n’est plus importante qu’une autre. On peut tout de même les distinguer en quatre grandes catégories : (1) la reconfiguration et la requalification des EHPAD, (2) la fonction médicale et les ressources humaines pour renforcer l’accompagnement des soignants à travers, notamment, la reconnaissance de certaines fonctions, (3) la refonte de l’immobilier et des équipements, afin de créer de petites unités plus propices à l’accueil de résidents souffrant de troubles neurocognitifs et de troubles du comportement, (4) le renforcement de la démarche qualité et des recommandations d’ordre organisationnel, qui portent par exemple sur le développement des interfaces avec l’hôpital, l’essor des EHPAD ressources, la révision des outils de tarification, etc.

Une feuille de route « EHPAD », dont vous êtes le co-référent, est désormais en préparation. Quelles sont ici vos missions ?
Marc Bourquin*, l’autre co-référent, et moi-même sommes en lien avec les administrations centrales, et plus spécifiquement la Direction Générale de l'Offre de Soins (DGOS) et la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS), afin de contribuer à la mise en application des recommandations énoncées dans le rapport. Retardée à cause de la crise sanitaire et internationale, cette feuille de route reprend en effet les préconisations de notre rapport, en les adaptant à l’actualité récente. Les mesures portant sur la démarche qualité et l’évaluation, ou encore sur la gouvernance de la fonction médicale, ont ainsi été renforcées. Cinq à six groupes thématiques ont aujourd’hui été définis pour accompagner les mesures qui entreront en application de différentes manières. Naturellement, elles ne pourront pas toutes être mises en œuvre de façon synchrone. La requalification en soins prolongés complexes, par exemple, nécessitera des financements spécifiques, et donc des arbitrages plus lourds, que d’autres évolutions qui ne nécessiteraient que la publication d’un décret.

Vous l’avez dit, la feuille de route a été retardée. Comment la préparez-vous au jour le jour ?
Même si le calendrier initial n’a pas pu être tenu, nous avons déjà commencé à travailler sur les textes, notes et outils qui seront indispensables à la mise en place des nouvelles mesures. La période actuelle est particulière : l’actualité est chargée, de nombreux dossiers se télescopent... La prochaine élection présidentielle est également de la partie : aucun décret ne pourra être publié avant cette échéance. Les choses se mettent néanmoins en place afin d’être opérationnelles dès que possible, surtout si l’on annonce dans les prochains mois une loi sur le grand âge ou l’autonomie.

Justement, pensez-vous qu’une loi sur le grand âge verra prochainement le jour ?
Le secteur du grand âge ne peut en effet se passer d’une loi. Les enjeux de notre secteur sont immenses et il semble difficile de s’en tenir au statu quo. La dénomination de la loi sera peut-être différente de ce qui avait été annoncé il y a quelques années, sa forme ne sera peut-être pas exactement la même, mais je suis persuadé qu’il y aura une loi, nous ne pouvons plus faire l’impasse sur le sujet.

Qu’attendez-vous d’une telle réforme ?
Son périmètre sera un peu plus large que celui de notre rapport. Une loi sur la prévention et la perte d’autonomie dépasserait nécessairement les seuls EHPAD, puisqu’elle devra intégrer l’ensemble des métiers du grand âge, y compris le soutien à domicile. Une loi ne pourra en effet pas ignorer le virage domiciliaire, qui lui aussi nécessiterait une réflexion forte sur son modèle. L’hôpital devrait également être de la partie : les établissements sanitaires doivent s’adapter à l’évolution démographique des patients, les personnes âgées sont présentes dans tous les services, pas uniquement en gériatrie. Il faut donc préparer l’hôpital et ses métiers à cette évolution : tous les services, toutes les spécialités, sont concernés et devraient revoir leurs pratiques pour, notamment, mieux prévenir la dépendance nosocomiale. 

Et concernant plus spécifiquement les EHPAD ?
Le volet EHPAD de cette future réforme devrait, à mon sens, favoriser et accompagner l’émergence d’un nouveau modèle, y compris sur le plan des ressources humaines et de la formation professionnelle. La question de l’attractivité reste en effet un enjeu fort pour notre secteur. Plusieurs leviers peuvent ici être activés : création de maquettes de formation adaptées à toutes les fonctions, revalorisation financière, mais aussi travail sur l’image même des métiers du grand âge, afin de mieux considérer cette pyramide dans son ensemble.

Faut-il d’avantage « sanitariser » les EHPAD ?
« Médicaliser », « sanitariser », aucun de ces mots ne convient parfaitement aux enjeux et à la situation actuels. Comme évoqué dans le titre de notre rapport sur la « prise en soins adaptée aux patients et résidents afin que nos établissements demeurent des lieux de vie », nous devons adapter les soins aux patients et résidents, en partant de leurs besoins. Nous avons assisté, au fil des années, à une évolution très significative des profils des personnes accueillies en EHPAD. Le profil de résident « historique » se retrouve aujourd’hui en résidence autonomie ou résidence services. Il y a eu un glissement. Les personnes actuellement admises en EHPAD viennent pour près de la moitié de l’hôpital. Les résidents accueillis en EHPAD ont en moyenne plus de 85 ans, présentent une polypathologie et un niveau de dépendance déjà élevé. Ces populations sont donc proches de celles accueillies en soins de longue durée. Renforcer la médicalisation des EHPAD paraît donc nécessaire pour accueillir au mieux des résidents souvent lourdement dépendants.

Peut-on se passer des EHPAD ?
Bien évidemment non. Nous avons besoin d’établissements qui accueillent des personnes souffrant de maladies neuro-évolutives de type Alzheimer à un stade avancé, avec souvent des morbidités associées. La dénomination de la structure importe peu, il faut surtout mettre en place des moyens pour assurer la meilleure prise en soin et le meilleur accompagnement de ces personnes tout en leur garantissant un lieu de vie adapté à leurs attentes. On ne peut pas dissocier ces deux volets. Il est impératif de sortir de la vision dichotomique qui oppose trop souvent les notions indissociables de lieu de vie et de lieu de soin. Cette dernière expose au risque d’une sous-estimation des besoins en termes de soins et d’accompagnement, et indirectement de négligence, le plus souvent non intentionnelle, source d’inconfort voire de souffrance psychologique des soignants souvent confrontés à des injonctions paradoxales. En effet, quelle signification peut revêtir le concept de « lieu de vie » chez un résident percevant inconfort, voire souffrance psychique ou somatique pourtant accessible à une prise en soin adaptée ? Ou encore chez un résident en situation de défaillance ou insuffisance d’organe qui ne bénéficierait pas des progrès thérapeutiques pouvant améliorer sa qualité de vie et son pronostic vital ? Devrait-il en être soustrait parce qu’il réside en EHPAD ? Ne s’agirait-il pas là d’un préjudice ou d’un désavantage s’apparentant à de l’âgisme ? C’est donc bien parce que l’EHPAD est un lieu de soin, qu’il reste un lieu de vie. Le « prendre soin » prôné par les gériatres intègre bien ces valeurs, et ce depuis fort longtemps.

*Co-référent de la feuille de route « EHPAD », Marc Bourquin est conseiller stratégie à la Fédération Hospitalière de France (FHF).

Article publié dans le numéro d'avril d'Ehpadia à consulter ici

Le Pr Claude Jeandel
Professeur des Universités, Claude Jeandel, spécialiste de médecine interne et de gériatrie à l’Université de Montpellier, est Président du Conseil National Professionnel de Gériatrie (CNP). Il a coordonné la rédaction des deux livres blancs de la gériatrie française et est aussi l’auteur de plusieurs rapports ministériels dont « 13 mesures pour améliorer la prise en soin des résidents en EHPAD » (2009), « Parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie (PAERPA) » (2012), et tout récemment en 2021 « Pour une prise en soin adaptée des patients et des résidents d’EHPAD et d’USLD ».



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