Connectez-vous S'inscrire
Ehpadia, le magazine des dirigeants d'EHPAD
Pharmacie / Hygiène

«Les EMH sont un outil précieux pour diffuser la culture de l’hygiène en EHPAD»


Publié le Mardi 9 Septembre 2025 à 11:14

Médecin au service de veille sanitaire de l’Agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France, le Dr Emmanuelle Cerf pilote le déploiement régional des Équipes mobiles d’hygiène (EMH). Elle revient, pour Ehpadia, sur l’origine, les missions et les perspectives de ce dispositif qui continue de s’étendre.


Le Dr Emmanuelle Cerf, médecin au service de veille sanitaire de l’Agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France.
Le Dr Emmanuelle Cerf, médecin au service de veille sanitaire de l’Agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France.
Quel est votre rôle au sein de l’ARS Hauts-de-France ?
Dr Emmanuelle Cerf :
Je suis médecin chargée de mission au sein du service de veille sanitaire de l’ARS Hauts-de-France, référente sur les infections associées aux soins. Dans ce cadre, je pilote le déploiement des Équipes mobiles d’hygiène (EMH) dans la région. Déployées depuis plusieurs années sur certains territoires, ces équipes ont pour vocation de soutenir les EHPAD dépourvus de ressources en hygiène, notamment ceux qui ne sont pas rattachés à un établissement hospitalier. Leur mission est de renforcer la prévention et la gestion du risque infectieux grâce à l’appui de professionnels formés et expérimentés.
 
Combien d’EMH sont actuellement en activité dans la région ?
Nous comptons aujourd’hui 11 EMH opérationnelles. Une douzième équipe débutera à Compiègne-Noyon à la mi-juin, et une treizième est prévue pour octobre. Le dispositif a été lancé en 2020, en pleine crise sanitaire, via des appels à projets qui ont suscité un vif intérêt. Depuis 2022, nous avons assoupli le processus de recrutement : les candidatures sont désormais spontanées et examinées au fil de l’eau, ce qui permet une plus grande réactivité et une meilleure adaptation aux besoins du terrain.
 
Qui peut porter une EMH ?
Le cahier des charges prévoit que le porteur soit un établissement de santé ou un Groupement hospitalier de territoire, public ou privé, à condition qu’il dispose d’une Équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) structurée. L’objectif est de construire les EMH à partir de ces équipes existantes, déjà dotées des compétences requises. Étant donné la rareté des ressources humaines qualifiées en hygiène, cette approche pragmatique, qui entend mettre pleinement à profit les professionnels en poste, permet une mise en œuvre efficace. Lorsque cela est possible, nous veillons également à lier les EMH avec d’autres filières, notamment la filière gériatrique. À Compiègne-Noyon, par exemple, la future EMH interviendra sur l’ensemble des EHPAD de la filière, hors centre hospitalier.
 
Certaines zones sont-elles encore peu couvertes ?
Oui, certaines parties du territoire restent insuffisamment couvertes. L’Oise, par exemple, ne comptait jusqu’ici aucune EMH, une situation amenée à évoluer grâce à l’arrivée de l’équipe de Compiègne-Noyon, qui accompagnera 19 EHPAD. L’Aisne reste également non couverte, bien que deux EHPAD “frontaliers” bénéficient de l’appui d’une EMH du département du Nord. À l’inverse, des zones comme la métropole lilloise sont mieux dotées, mais la densité d’EHPAD y est aussi plus élevée. Le déploiement des EMH s’appuie sur une logique de couverture territoriale, prenant en compte la répartition géographique des EHPAD. Ainsi, dans la Somme, une seule EMH couvre déjà 67 % des EHPAD hors CH.
 
Quelle est aujourd’hui la couverture régionale des EHPAD par les EMH ?
Sur les 600 EHPAD des Hauts-de-France, 459 ne sont pas rattachés à un centre hospitalier. À ce jour, 141 d’entre eux sont suivis par une EMH, soit environ 25 %. Avec l’arrivée de l’équipe de Compiègne, ce chiffre passera à 160 EHPAD, représentant un tiers de couverture. L’objectif est d’atteindre à terme les 459 établissements, mais cela dépend de plusieurs facteurs, et particulièrement la disponibilité de personnels qualifiés. Pour pallier ce manque, nous permettons l’intégration d’infirmiers non encore formés à l’hygiène, à condition qu’ils soient encadrés par une EOH. Ce modèle, déjà mis en œuvre dans trois équipes, a montré son efficacité.
 
Comment sont structurées les EMH ?
Chaque EMH comprend au minimum un équivalent temps plein (ETP) d’infirmier hygiéniste, avec une dotation actuelle d’un ETP pour 18 EHPAD. Il n’est pas prévu de médecin hygiéniste dédié, car l’ARS ne finance pas ce poste. Car depuis fin 2023, le dispositif est entièrement pris en charge par l’ARS, ce qui a levé un frein majeur : auparavant, les EHPAD devaient co nancer la moitié du coût. Le CPias (Centre de prévention des infections associées aux soins) des Hauts-de-France joue également un rôle central dans l’animation du réseau, en organisant des réunions trimestrielles, en harmonisant les pratiques, en élaborant des outils communs et en animant des groupes de travail thématiques, par exemple sur l’intégration du risque infectieux dans le plan bleu.
 
Quelles sont, concrètement, les missions des équipes mobiles d’hygiène ?
Les EMH ont une vocation d’accompagnement, non de substitution. Elles réalisent un diagnostic initial, accompagnent l’auto-évaluation du DAMRI (démarche d’analyse et de maîtrise du risque infectieux), identifient les priorités d’actions, facilitent la mise en œuvre des recommandations, réalisent des audits, forment et informent les professionnels... Elles interviennent également en cas d’épidémie et contribuent à la maîtrise de la diffusion des bactéries multirésistantes. L’hygiène des mains, le bionettoyage ou encore la gestion des excréta représentent des sujets récurrents. Les EMH peuvent aussi participer aux instances des EHPAD, si nécessaire.
 
Comment les EHPAD perçoivent-ils ces équipes ?
De manière générale, les retours sont très positifs. Les établissements saluent l’expertise, la disponibilité et l’approche bienveillante des équipes. Bien sûr, quelques structures restent en retrait, malgré la signature d’une convention, ce qui peut se traduire par des annulations de rendez-vous ou un faible suivi des recommandations. Mais ces cas sont exceptionnels, la majorité des établissements est pleine- ment engagée dans la démarche. La qualité du lien entre l’EMH et les référents hygiène de l’EHPAD, la con ance réciproque, sont déterminantes pour garantir l’efficacité des actions engagées.
 
Revenons un instant sur la genèse du dispositif. Pourquoi avoir initié la réflexion dès 2018 ?
Cette initiative s’inscrivait dans le cadre du programme régional issu du Propias (Programme national de prévention des infections associées aux soins), alors en vigueur. Mais elle répondait aussi à des besoins exprimés par le terrain : de nombreux EHPAD faisaient part de leurs difficultés à gérer les épidémies, voire à maîtriser le risque infectieux. Nous nous sommes inspirés des régions pionnières telles que la Bourgogne Franche-Comté, l’Auvergne-Rhône-Alpes et la Bretagne. La Bourgogne Franche-Comté, en particulier, disposait déjà d’un modèle éprouvé, basé sur plusieurs années de recul, et sa population est comparable à la nôtre. Nous avons donc adapté son approche au contexte des Hauts-de-France, en partenariat étroit avec le CPias.
 
Comment encouragez-vous la création de nouvelles équipes ?
Nous multiplions les actions de sensibilisation : enquêtes, réunions régionales, présentations aux EOH, journées d’échange pilotées par le CPias... Nous allons aussi directement à la rencontre des établissements, notamment dans les zones sous-dotées comme l’Oise ou l’Aisne, pour informer, rassurer, et montrer que le dispositif, loin d’être contraignant, est un réel levier d’amélioration, d’autant qu’il est désormais intégralement financé par l’ARS. Certaines EOH peuvent craindre une charge supplémentaire, mais les retours du terrain, et notamment une enquête menée auprès des praticiens hygiénistes, montrent que l’investissement reste maîtrisé.
 
Ces démarches sont-elles plus efficaces que les appels à projets ?
Elles demandent plus de temps, mais elles portent effectivement souvent leurs fruits. Le cas de Compiègne-Noyon en est une parfaite illustration. Le dialogue, la pédagogie et la proximité permettent de construire des projets solides. Il nous arrive aussi de rassurer des établissements ayant déjà développé leurs propres réseaux internes : les EMH ne se substituent pas à ces dispositifs, elles peuvent parfaitement s’intégrer aux dynamiques existantes, à condition d’en respecter les principes.
 
Le mot de la fin ?
Le développement des EMH est un projet que je porte avec conviction. Nous avons encore du chemin à parcourir, mais les bases sont désormais solides, avec un financement garanti jusqu’en 2028 dans le cadre du Plan régional de santé (PRS 3). Nous devons poursuivre cet élan, et continuer à faire vivre et grandir le dispositif pour renforcer la sécurité des soins et la qualité de vie des résidents. Les EMH sont un outil précieux pour diffuser la culture de l’hygiène en EHPAD, et leur généralisation constitue un enjeu majeur de santé publique pour les années à venir.

 
> Article paru dans Ehpadia #40, édition de juin 2025, à lire ici