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Quelle place pour les innovations techniques et numériques ?


Publié le Mardi 24 Juin 2025 à 10:55

Ancien président du comité scientifique national sur le suivi des outils PATHOS et AGGIR, le Pr Jean-Luc Novella est une figure incontournable de la recherche clinique sur la maladie d’Alzheimer dans l’interrégion EST. À la tête du Gérontopole « Bien vieillir en Champagne-Ardenne », il exerce au sein du service de gériatrie aiguë et de la consultation mémoire du CHU de Reims. Directeur du pôle Autonomie et Santé, il y mène des recherches centrées sur la fragilité et la qualité de vie, des thématiques qui l’ont naturellement conduit à exploiter le potentiel des nouvelles technologies. Rencontre.


En tant que gériatre, pourquoi vous intéressez-vous aux nouvelles technologies ?
Pr Jean-Luc Novella : Même dans un service de gériatrie aiguë, comme celui où j’exerce, ces nouveaux outils sont devenus essentiels. Ils permettent notamment d’automatiser certaines tâches, libérant ainsi du temps pour les soignants et favorisant davantage de moments relationnels avec les patients. Les applications sur ce champ sont d’ailleurs variées : détection précoce des chutes, sécurisation des déambulations ou encore prise en charge des incontinences, par exemple. Certains changes sont ainsi équipés de capteurs d’humidité qui alertent les soignants lorsqu’il est nécessaire de les changer. Cela évite des interventions systématiques, et améliore aussi la qualité de vie des résidents comme celle des soignants.      

Vous accompagnez notamment l’EHPAD BTP RMS Jean d’Orbais de Reims dans l’intégration de nouvelles technologies. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Cet établissement pilote expérimente depuis septembre 2024 diverses solutions innovantes, comme les protections intelligentes évoquées plus haut. Les technologies testées sont réparties en quatre grandes thématiques. D’abord, le confort et le bien-être, avec des systèmes de contrôle de température, des solutions connectées facilitant l’interaction avec les soignants, et des dispositifs de prévention des chutes. Ensuite, la stimulation sensorielle, qui peut améliorer la qualité de vie des résidents. La sécurité, à travers la vidéosurveillance, le contrôle d'accès et la visiophonie, est un autre axe clé. Enfin, le développement durable, grâce à l’intégration de solutions énergétiquement efficaces et à l’utilisation d'énergies renouvelables.

Pourriez-vous nous donner d’autres exemples d’outils expérimentés dans ce cadre ?
Nous menons une large étude pour évaluer l’efficacité de plusieurs technologies sur la sécurité et la qualité de vie des résidents. Parmi les dispositifs à l’essai, nous testons l’ouverture personnalisée des chambres : chaque résident porte une montre qui active automatiquement l’ouverture de sa porte, empêchant ainsi d’autres résidents d’y entrer par erreur. Dans cette même optique de sécurisation des parcours, des sas de sécurité ont été installés à proximité des ascenseurs et des sorties, détectant les mouvements et limitant ainsi les risques liés aux déambulations non maîtrisées.

Avez-vous déjà identifié des solutions ayant un impact significatif sur la qualité de vie des résidents ?
Démarrée récemment, l’étude est encore en cours et se poursuivra pendant une année supplémentaire, mais il est certain que ces innovations doivent s’intégrer dans une réflexion plus globale sur le vieillissement et la prise en charge de la dépendance. L’évolution démographique attendue ces prochaines années entraînera une hausse mécanique des besoins, et les EHPAD ne pourront pas tous accueillir un nombre croissant de résidents. Aujourd’hui, ces établissements prennent en charge des personnes de plus en plus dépendantes, pour qui le maintien à domicile devient trop complexe. Et la tendance ne devrait pas s’inverser... Cela soulève de nombreuses questions, auxquelles nos travaux cherchent aussi à répondre. Notre objectif est d’améliorer la qualité de vie en automatisant certaines tâches, notamment la surveillance, afin de recentrer le rôle du personnel soignant sur l’humain.

Comment envisagez-vous l’avenir de la prise en charge de la dépendance en France ?
De nombreuses questions se posent. Comment financer cette prise en charge ? Comment adapter l’accompagnement à domicile ? À quoi ressembleront les EHPAD de demain ? Dans quelle mesure nos EHPAD actuels peuvent-ils répondre aux futurs cahiers des charges ? Aujourd’hui, nous avons des établissements récents, d’autres rénovés, et certains encore basés sur des modèles anciens. La situation sur le terrain est donc très hétérogène. Par ailleurs, le profil des résidents évolue, avec une augmentation des troubles cognitifs, ce qui complique leur maintien à domicile et impose des structures adaptées, comme les unités de vie protégées. Il est crucial d’anticiper ces évolutions pour éviter un décalage entre l’offre et les besoins.

Vous mentionniez le financement de la dépendance. Quels sont, selon vous, les défis majeurs à relever dans ce domaine ?
Le principal enjeu de ces prochaines années est la solvabilisation du séjour en EHPAD. Cela implique une réflexion nationale sur la tarification, le reste à charge pour les familles et la contribution de la solidarité nationale. Il faudrait un cadre de financement plus juste et plus réactif. Il est également nécessaire d’avoir une politique davantage basée sur la confiance – je m’exprime ici en tant qu’ancien président du comité scientifique national sur le suivi des outils PATHOS et AGGIR. Actuellement, les établissements sont évalués via ces outils PATHOS et AGIR, mais les contrôles sont lourds et le délai entre les évaluations est trop long : en quatre ou cinq ans, le profil des résidents accueillis a considérablement évalué, rendant la tarification obsolète. Ce modèle n’est donc plus adapté aux réalités des EHPAD d’aujourd’hui, et encore moins à ceux demain, qui devront faire face à une dépendance accrue et à une population vieillissante dont les besoins dépassent déjà les capacités d’accueil actuelles.
 
> Article paru dans Ehpadia #39, édition d’avril 2025, à lire ici 
 
 



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