Connectez-vous S'inscrire
Ehpadia, le magazine des dirigeants d'EHPAD
Actu et Management

Où en est-on des interventions non médicamenteuses pour la maladie d’Alzheimer ? 


Publié le Lundi 28 Mars 2022 à 09:55

Tribune libre de Kevin Charras, Directeur du Living Lab Vieillissement et Vulnérabilité, CHU de Rennes.


Le Pr Henry Brodaty, lors d’une conférence d’Alzheimer Europe à La Haye en 2019, affirmait à propos des interventions non médicamenteuses (INM) pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de troubles apparentés, que « si ces interventions étaient des traitements médicamenteux, la démarche pour les faire rembourser serait déjà avancée » et qu’un système de santé les remboursant encouragerait très certainement leur développement. Il y a besoin, aujourd’hui, d’un véritable lobby des INM reposant sur un cadre académique et clinique, et composé de professionnels de santé, de chercheurs et d’acteurs de terrain. Les INM pour les personnes atteintes de troubles cognitifs liés au vieillissement, comme pour l’écologie au regard du dérèglement climatique, sont l’affaire de tous dans une société dans laquelle la révolution de la longévité nous frappe de plein fouet.

En France, aucune stratégie nationale n’est à ce jour implémentée pour faire profiter des INM au plus grand nombre et aucune recommandation n’a été émise depuis plus de 10 ans par les autorités de santé. Malgré les promesses d’Agnès Buzyn, en 2018, de consacrer tout ou partie des économies réalisées par le déremboursement des quatre principales molécules anti-Alzheimer pour « miser sur les prises en charge non médicamenteuses et l'accompagnement des personnes malades  », force est de constater qu’aucune mesure n’a été prise depuis.

Qu’il existe ou non un traitement contre la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées, les INM (parfois aussi dénommées interventions psychosociales) seront toujours indispensables dans l’accompagnement des personnes malades. La question n’est pas de savoir si un traitement supplanterait l’autre, mais bien de comprendre comment la combinaison des moyens dont nous disposons pour accompagner les personnes vivant avec la maladie leur permet de maximiser leur bien-être, leur fonctionnement psychologique et comportemental, et d’améliorer leur vie au quotidien. Car c’est bien de ce défi dont il s’agit : aider à vivre avec la maladie dès les premiers signes et tout mettre en œuvre pour aider à surmonter les difficultés liées aux troubles cognitifs.
 

Une implémentation encore timide

Le constat, sur le terrain, est que les stratégies pour développer et diffuser les INM sont très hétérogènes et dépendent fortement des moyens dont disposent les acteurs de terrain. Les établissements sociaux et médico-sociaux, et le secteur du domicile qui les implémentent se confrontent au manque de formation des professionnels, à la difficulté d’identifier les intervenants potentiels sur leur territoire, au manque de structure organisationnelle pour coordonner les interventions.

Par ailleurs, pour que les INM montrent toutes leurs potentialités, il est indispensable de s’assurer, au préalable, que le contexte dans lequel on accueille les personnes n’occasionne pas les symptômes psychologiques et comportementaux que l’on cible. Qu’il s’agisse de l’architecture, de l’organisation, de l’institution, le cadre de vie est un élément important de l’accompagnement et des soins. Les INM ne sont pas élaborées en vue de contrebalancer les défauts d’une institution, mais bien les symptômes psychologiques et comportementaux dus à la maladie.

Armer les professionnels en renforçant les actions de formation universitaire (un DU entièrement consacré aux INM va débuter à la rentrée 2022 à l’Université de Caen), densifier le maillage territorial des thérapeutes diplômés, mutualiser les moyens pour permettre à tous les établissements d’en bénéficier de façon équivalente sont autant de solutions qu’il faut étudier pour démocratiser ces pratiques.
 

Une recherche qui s’organise

La recherche clinique sur les INM en arrive à un point où l’application sur le terrain ne peut faire abstraction des avancées scientifiques dans ce domaine. Au niveau international, le nombre de recherches publiées chaque année sur les INM a été multiplié par plus de 20 depuis 2000. Elles sont reconnues scientifiquement pour avoir des effets bénéfiques, quel que soit le stade de la maladie et la sévérité des symptômes.

La communauté scientifique internationale s’est aujourd’hui organisée pour avancer sur de nouveaux défis. Le dernier appel à projet du Joint Programme for Neuro-Degenerative Research (JPND) intitulé « Comprendre les mécanismes des interventions non médicamenteuses » en est la preuve par les thématiques qu’il propose de développer concernant les INM :
  • déterminer les fondements biomoléculaires et/ou physiques impactés par les INM et en examiner les mécanismes à l’aide des technologies de pointe ;
  • identifier les mécanismes neurologiques induits par les INM à l'aide de l’imagerie cérébrale et d’autres techniques équivalentes ;
  • identifier les marqueurs de santé biologique, psychologique et sociale pour cibler les facteurs de risque modifiables induits par les INM, et mieux prédire et surveiller les effets de ces interventions ;
  • consolider les fondements et les concepts théoriques des INM dont l’efficacité est reconnue, pour une compréhension plus approfondie des mécanismes d’action ;
  • identifier de potentielles molécules éligibles pour une combinaison d'interventions médicamenteuses et non médicamenteuses ;
  • déterminer les facteurs (individuels) qui prédisent une meilleure réponse aux interventions.

Une volonté scientifique de s’appuyer sur le terrain

Depuis peu, une société savante sur les INM toutes pathologies confondues, la Non Pharmacological Intervention Society, a vu le jour en France. Elle a, entre autres, pour ambition de fédérer et dynamiser la recherche et l’innovation sur les INM et de faciliter les collaborations entre les établissements de recherche et de formation et les acteurs du champ sanitaire, social et de la prévention santé.

On se pose ainsi la question des indications de traitement, des corrélats neurophysiologiques et biologiques, de l’identification des mécanismes d’action psychosociaux. La recherche dans ce domaine s’intéresse aussi à mieux comprendre les enjeux de l’implémentation de ces interventions au niveau de la pratique clinique et sur leur diffusion sur le terrain : les interventions peuvent-elles être dupliquées à différents contextes avec le même niveau d’efficacité ? Comportent-elles des effets indésirables ? Comment peuvent-elles être évaluées en pratique clinique ? Emportent-elles l’adhésion des professionnels de terrain ? Correspondent-elles aux enjeux organisationnels ? Autant de questions auxquelles il faut répondre pour les déployer et les utiliser efficacement.
Et s’il est du devoir des chercheurs d’améliorer la qualité scientifique des études qu’ils mènent sur les INM, n’est-il pas de celui des professionnels et des praticiens qui les mettent en œuvre sur le terrain de livrer à la communauté leurs observations quant aux effets qu’ils observent ?
 

Un bénéfice économique encore à démontrer

Une recension de la littérature récente montre que chaque point d’augmentation de l’inventaire neuropsychiatrique (NPI) peut augmenter les coûts de prises en charge jusqu’à 17% et que l’économie réalisée sur des personnes n’ayant pas de symptômes d’agitation cliniquement significatifs sur une période de trois mois en comparaison à des personnes ayant des symptômes d’agitation pouvait aller jusqu’à 8 000 dollars. Ces auteurs soulignent aussi, à l’inverse de ce que l’on pourrait penser, que les symptômes liés à l’apathie et les hallucinations resteraient les plus coûteux.

D’une manière générale, il semblerait que les coûts des INM étant relativement faibles en comparaison à ceux engendrés par les symptômes psychologiques et comportementaux sur le système de santé, qu’elles montreraient très certainement des bénéfices économiques importants. Mais les études sur celles-ci ne sont pas encore suffisamment robustes pour en faire la démonstration.
 

Une éthique empirique et fondée sur la preuve

La réflexion éthique s’impose nécessairement à la mise en pratique des INM, tant pour s’assurer de l’adhésion des personnes concernées, de l’adaptation du traitement, que des fondements scientifiques des INM. Les professionnels devraient se demander constamment si les interventions qu’ils administrent correspondent aux besoins de la personne et contribuent efficacement à y répondre. Ils devraient être en capacité d’orienter la personne vers d’autres types d’interventions et d’intervenants s’ils estiment cela plus pertinent au regard de leurs compétences ou des problématiques rencontrées. Il est aussi de leur responsabilité de prendre les précautions nécessaires pour ne pas créer de faux espoirs quant à l’impact des interventions qu’ils dispensent, et de créer une alliance thérapeutique fondée sur la confiance. L’humilité et la clairvoyance des professionnels face aux limites des interventions qu’ils proposent, et la connaissance fine de leurs patients sont un gage de pratiques déontologiques, éthiques et respectueuses des personnes accompagnées.

En somme, les INM ont gagné leurs lettres de noblesse et une place à part entière aux côtés de la médecine pour l’accompagnement du quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et de maladies apparentées. Il est donc temps, aujourd’hui, d’ouvrir un chantier d’envergure et de réunir une concertation large des professionnels de santé, des chercheurs et des intervenants de terrain dans ce domaine pour actualiser les connaissances sur ces interventions, consolider les modalités d’intervention et diffuser des recommandations nationales.
 



Nouveau commentaire :