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Ehpadia, le magazine des dirigeants d'EHPAD
Pharmacie / Hygiène

Dans le quotidien d’une IDEH en EHPAD : « Nous sommes un peu comme une carte joker pour les établissements »


Publié le Mercredi 15 Novembre 2023 à 14:00

Depuis 10 ans, Valérie Le Grand exerce le métier d’infirmière hygiéniste en EHPAD. D’abord seule à remplir ces fonctions à mi-temps pour 15 établissements de sa région, elle est désormais en charge de la coordination d’une Équipe mobile d’hygiène (EMH) regroupant 4 hygiénistes et intervenant dans 49 EHPAD. Elle revient pour nous sur son expérience et sa vision d’un métier encore en pleine évolution.


À l’origine, vous sembliez plutôt vouée à une carrière d’infirmière de bloc. Comment en êtes-vous arrivée au métier d’infirmière hygiéniste exerçant en EHPAD ?

Valérie Le Grand : Après de brèves expériences dans l’humanitaire, en tant qu’infirmière de nuit, et au bloc opératoire du CH de Paimpol, j’ai effectivement opté en 2000, soit trois ans après l’obtention de mon diplôme d’IDE, pour une spécialisation d’IBODE (Infirmière de Bloc Opératoire Diplômée d'État) à laquelle est obligatoirement couplé un Diplôme Universitaire en hygiène hospitalière. J’ai finalement exercé ce métier jusqu’en 2004, moment où j’ai obtenu une mutation pour un poste d’infirmière hygiéniste au CH de Lannion. J’y suis restée jusqu’en 2012 et cette expérience s’est révélée extrêmement formatrice. J’ai découvert un métier transversal me permettant de toucher à de nombreux secteurs d’activité.

Que s’est-il passé ensuite ?

Je suis retournée au CH de Paimpol pour y prendre un poste mêlant à 50 % une activité d’IDEH (Infirmière Diplômée d’État en Hygiène) au sein de l’équipe opérationnelle d’hygiène de l’hôpital et, pour le reste, un rôle de coordination au sein de la Fédération Inter-Hospitalière en Hygiène (FI2H), créée quelques années auparavant dans notre secteur. Si mes missions relevaient alors uniquement du champ sanitaire, nous ressentions déjà, à l’époque, la nécessité de nous ouvrir aux établissements médico-sociaux. Dès 2013, nous avons donc évalué les besoins sur notre secteur et commencé à travailler avec une association d’EHPAD, via la signature d’une convention actant la création d’un demi-poste d’IDEH mutualisé, dont j’ai pris la charge.

Comment les choses se sont-elles mises en place ?

À l’époque, tout était à faire. C’était une vraie découverte pour eux, mais aussi un peu pour moi, car je n’avais encore jamais travaillé dans le secteur médico-social territorial. J’ai commencé par réaliser un bilan de l’existant en matière d’hygiène, en m’appuyant notamment sur le DARI (Document d'Analyse du Risque Infectieux) qui venait alors d’être publié. Je me suis ainsi rendu compte que beaucoup de choses étaient déjà mises en œuvre au sein des établissements, mais bien souvent en l’absence de toute formalisation. Cela m’a permis d’établir des axes d’amélioration et de mettre en place un programme d’actions pour chaque EHPAD, composé de formations, de mutualisations, de protocoles, etc. Cette période s’est avérée extrêmement enrichissante et, plus nous avancions, plus de nouveaux besoins se faisaient sentir. Très vite, nous avons dû nous rendre à l’évidence que mon mi-temps ne suffisait pas, et durant les années qui ont suivi, notre dispositif s’est étoffé. En 2019, nous comptions ainsi 2,3 ETP (Équivalent temps plein) d’hygiénistes répartis entre 23 établissements.


C’est là qu’a frappé l’épidémie de COVID-19. Comment cette dernière a-t-elle impacté vos missions et plus largement la vision portée sur votre profession ?

L’épidémie de COVID-19 a quelque part tout changé. En tant qu’infirmières hygiénistes, nous avons été extrêmement sollicitées. Par les établissements membres de notre partenariat d’une part, mais également par le CPias (Centre de prévention des infections associées aux soins) et l’ARS qui souhaitaient que nous apportions un soutien aux autres EHPAD de la région. Cette crise a finalement permis de mettre en exergue l’intérêt de nos missions au long court, les établissements dans lesquels nous avions l’habitude d’intervenir ayant été beaucoup moins impactés que leurs homologues au moment de l’apparition des premiers clusters. De quoi convaincre, dans la foulée, l’ARS Bretagne de créer 29 nouveaux postes d’IDEH. Pour conclure, je dirais que nos missions et notre expertise sont désormais davantage connues, je dirais même reconnues.

Aujourd’hui, comment s’organise votre quotidien d’IDEH ?

Nos missions s’articulent autour de deux grandes thématiques : la prévention du risque infectieux et, dans une moindre mesure, la gestion des risques associés aux soins. Et contrairement à ce que peuvent parfois penser les autres professionnels, notre rôle ne se limite pas à de l’audit et de la surveillance. S’il s’agit évidemment d’une partie inhérente à nos missions, nous menons en parallèle de nombreuses actions de conseil, d’accompagnement ou de formation, sur des thématiques aussi variées que le suivi au quotidien des précautions standard et complémentaires ; la gestion du risque épidémique ou de pathologies infectieuses ; la gestion de l’eau, du circuit du linge, ou des DASRI (Déchets d’activités de soins à risque infectieux) ; la restauration – sur le versant de l’hygiène pure – ; l’entretien des locaux ; ou encore la préparation des inspections ARS, etc. Chaque IDEH dispose de son propre secteur géographique et intervient dans chacun des établissements, en moyenne une journée entière toutes les 4 à 6 semaines. L’idée est ici de pouvoir créer du lien et assurer un véritable suivi au long court, dans un esprit de collaboration.

Justement quels besoins identifiez-vous sur le terrain ? Ces derniers ont-ils évolué dans le temps ?

Nous sommes de plus en plus sollicités sur la gestion de Bactéries Multi-Résistantes (BMR) et de Bactéries Hautement Résistantes et émergentes (BHRe). Nous avons également été contactés à plusieurs reprises pour des ectoparasites, ou encore réalisé tout un travail sur la thématique de l’hygiène bucco-dentaire. Un point que je soulève concerne le choix et l’optimisation des produits d’entretien. Alors que nous essayons de limiter au nombre de quatre les gammes de produits utilisés – détergent neutre pour les sols, détergent-désinfectant pour les surfaces, détergent-désinfectant-détartrant pour les sanitaires et éventuellement virucide –, nous devons régulièrement être vigilants pour ne pas voir revenir de l’eau de javel ou des produits nocifs qui n’ont pas lieu d’être en EHPAD. Enfin dernièrement, nous avons eu des demandes en lien avec des travaux de restructuration, pour l’optimisation du circuit du linge par exemple.

Finalement, quel regard portez-vous sur le métier d’infirmier hygiéniste en EHPAD ?

Une de mes collègues a l’habitude de dire que nous sommes un peu comme une carte joker pour les établissements. Quand ils n’ont pas la réponse à une question, ils ont tendance à se tourner vers nous. Par la diversité des thèmes abordés, des actions menées, et des personnels que nous sommes amenés à côtoyer – des infirmières aux aides-soignantes, en passant par les cuisiniers, les agents de maintenance, les services techniques des communes, ou encore les personnels de direction, ayant tous des notions d’hygiène complètement différentes –, je dirais que notre profession nécessite de grandes capacités d’adaptation et de véritables qualités pédagogiques. Sans oublier un sens de la concertation, si l’on veut parvenir à œuvrer au changement.

Identifiez-vous des difficultés particulières ou des points d’amélioration à mettre en œuvre ?

Je dirais que notre principale difficulté découle actuellement des problématiques de ressources humaines rencontrées par les EHPAD. Le manque de personnels et de disponibilité de ces derniers a effectivement un impact notable sur les interventions que nous pouvons mener. Au lieu des formations à la journée que nous avions pris l’habitude de dispenser, nous sommes désormais bien souvent obligés de recourir à de la flash-information, des interventions rapides d’une heure maximum, centrées sur des informations clés. Forcément, la qualité s’en ressent. Concernant les axes d’amélioration, bien que je sois consciente des grandes avancées obtenues ces dernières années, je pense qu’il faudrait encore augmenter le temps d’IDEH par EHPAD, tout comme le temps de praticien hygiéniste dont nous disposons, qui est actuellement de 0,15 ETP.

Pour conclure, comment envisagez-vous l’avenir ?

Le sens premier de notre mission et de notre organisation repose sur la sécurisation du parcours du patient/résident et, pour ce faire, le lien ville-hôpital qui s’est amorcé doit continuer à se renforcer. Nous l’avons bien vu lorsque nous sommes parvenus à gérer avec succès les retours d’hospitalisation de résidents contacts ou porteurs d’entérocoques résistants à la vancomycine, suite à une épidémie hospitalière. Nous souhaiterions désormais aller plus loin, en nous ouvrant au secteur du handicap. À mon sens, un autre axe de développement majeur concerne le résident et la manière de le rendre plus acteur de sa santé. C’est important, car nous en demandons beaucoup aux professionnels. Nous passons du temps à les former, à réaliser des audits, et j’estime que les résidents et leurs familles ont aussi leur rôle à jouer. C’est pourquoi nous avons déjà commencé à mener des actions de promotion de la santé, sous forme d’animations autour de thématiques très simples comme l’hygiène des mains, l’appropriation des solutions hydro-alcooliques ou encore l’hygiène bucco-dentaire.

Article publié dans l'édition d'octobre d'Ehpadia à lire ici.

Développement de l’EMH Armor

• 2013 : Début de partenariat avec les EHPAD de l’association des EHPAD du Trégor-Goëlo (15 EHPAD - 0,5 ETP d’IDEH)
• 2015 : Développement du partenariat (17 ESMS - 1,5 ETP d’IDEH)
• 2017 : Deuxième phase de développement (23 ESMS - 1,5 ETP d’IDEH)
• 2019 : Renforcement de l’équipe (2,3 ETP d’IDEH)
• 2020 : Crise sanitaire COVID-19, l’ARS déploie des postes d’IDEH dans tous les EHPAD de Bretagne (47 ESMS - 4,1 ETP d’IDEH)
• 2021: Le partenariat prend le nom d’EMH d’Armor
• 2023 : Nouveau développement (49 ESMS - 4,1 ETP d’IDEH)