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Francis Carrier, le militantisme à tout âge


Publié le Mercredi 14 Septembre 2022 à 15:01

Figure de la lutte contre le sida et des droits LGBT+, Francis Carrier s’est toujours mobilisé pour défendre les droits des minorités. Aujourd’hui, à presque 70 ans, ce passionné poursuit le combat, participant notamment à la création de l’association Grey Pride et du Conseil national autoproclamé de la vieillesse. Rencontre.


Francis Carrier, président de Grey Pride et cofondateur du Conseil national autoproclamé de la vieillesse. ©DR
Francis Carrier, président de Grey Pride et cofondateur du Conseil national autoproclamé de la vieillesse. ©DR
« Mon parcours est avant tout un parcours de militant ». Par ces quelques mots, Francis Carrier résume sa vie. Né dans les années 50, le Toulousain a été marqué dans sa jeunesse dans les années 60 et 70, par la libération sexuelle. « C’est à cette même période que j’ai eu conscience d’être homosexuel », se souvient l’intéressé. Se mobilisant pour les droits LGBT+ puis au sein de l’association Aides dans la lutte contre le sida, Francis Carrier s’investit chaque jour un peu plus dans les combats militants.

Quand arrive l’heure de la retraire, l’ancien chef d’entreprise poursuit ses engagements en rejoignant notamment les Petits Frères des Pauvres. « C'est là que j'ai commencé à suivre des vieux et des vieilles en institution », raconte-t-il. Marqué par l’expérience, il s’interroge sur l’accompagnement des personnes âgées. « Globalement je ne voudrais pas vieillir dans les conditions des personnes que j'ai accompagnées », résume Francis Carrier, décidant alors d’ « agir ».
 

Grey Pride et CNAV…

Et la première de ces actions ne se fait pas attendre. Dès 2016, le jeune retraité fonde Grey Pride, une association luttant « contre toutes les discriminations dont pourraient souffrir les seniors LGBT+ ». « Parce que la désexualisation des vieux est, pour moi, une maltraitance, j’ai décidé de fonder Grey Pride », raconte l’actuel président de l’association, en insistant sur la nécessité « de raconter son histoire et d’exprimer ses désirs aussi en vieillissant ».

S’impliquant pour « donner la parole aux vieux », c’est tout naturellement que Francis Carrier participe en 2021 à la fondation d’une nouvelle association : le Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNAV). Pour ce militant, le message porté par cette organisation est aussi clair qu’important : « Nous n’avons pas à accepter que des entreprises ou des politiques prennent les décisions pour nous à notre place. Nous avons des attentes, nous sommes concernés, nous devons pouvoir nous exprimer sans interprètes ».
 

… deux organisations pour défendre les vieux

Au travers de son slogan, #RienPourLesVieuxSansLesVieux, le CNAV porte haut et fier son message de prise en compte de cette partie de la population. Ce nouveau combat rejoint ainsi les anciens engagements de Francis Carrier, qui lutte depuis toujours en faveur du « respect de l'identité, de l'intégrité et de la singularité des individus », comme il le définit lui-même. Ayant toute sa vie revendiqué et affirmé les droits LGBT+, l’intéressé redoute en vieillissant d’avoir « à se cacher », « parce que ça n’intéresse plus personne ». « Vieillir en étant amputé d'une part de soi-même est inacceptable, c'est couper le désir de vivre, car on n'est plus respecté dans sa globalité », poursuit l’ancien chef d’entreprise, redoutant ici la perception de la personne âgée comme « objet de soin à protéger ».

Et les récents événements, entre crise sanitaire et affaire Orpéa, ne font qu’accentuer ses craintes. « Lors du scandale Orpéa, les plateaux de télévision étaient remplis d’experts, mais aucun vieux ! Aurait-on imaginé un débat sur l’avortement sans une femme ? », interroge Francis Carrier qui, face à la situation, martèle la nécessité de porter soi-même son discours : « le ”je” est essentiel, arrêtons d’avoir des porte-paroles ». Au travers de ce discours, le presque septuagénaire entend bien combattre l’âgisme dans sa globalité : en redonnant la parole, en revoyant les critères de beauté, en resexualisant cette population ou plus simplement en travaillant sur le vocabulaire employé. « Les euphémismes tels que “nos têtes argentées”, “nos anciens” m’interrogent : n’arrive-t-on plus à prononcer le mot “vieux” ? », poursuit-il tout en notant : « Jeune” n’est pas une insulte, pourquoi “vieux” devrait en être une ? ».
 

Construire une communauté autour de la vieillesse

Toutes ces questions et tous ces constats amènent l’actuel président de Grey Pride à s’interroger sur le modèle même de l’EHPAD, qui « répond aux besoins primaires de l’individu sans forcément s’occuper du reste ». Promouvant le maintien à domicile et le développement d’habitats alternatifs, Francis Carrier s’attache surtout à « la proximité » et « la personnalisation » de l’accompagnement, pour que les personnes « conservent leur identité » et « ne soient pas des objets de soins ». « On nous a fait croire que c’était possible, mais un lieu de soin n’est pas un lieu de vie. Un lieu de vie ressemble à ceux qui l’habitent et n’est pas standardisé », complète celui qui espère la construction d’une communauté autour de la vieillesse.

« En 2050, un tiers de la population aura plus de 60 ans. La vieillesse représentera aussi plus d’un tiers de notre vie », prévient l’intéressé qui compte bien « faire de la vieillesse un champ différent dans la société ». « Comment s’intégrer dans la société après notre retraite ? », « Comment participer à la construction de l’environnement ? »… De nombreuses interrogations sont ici aussi présentes pour « repenser notre relation à la vieillesse ». Pour Francis Carrier, il faut aussi profiter de ces réflexions pour mettre en avant les « valeurs positives » de la vieillesse : la liberté de temps et de ton, la différence d’approche, la transmission… « Nous devons sortir du modèle que nous impose la société sur les vieux », résume-t-il. « Certes la vieillesse est l'annonce de notre mort, mais ce n'est pas une maladie et c'est lié à une époque de notre vie dans laquelle on peut aussi avoir quelque chose à faire et à construire », poursuit celui qui promeut le développement d’un sentiment d'appartenance à un groupe, « pour que tous soient acteurs de leur vieillesse ».

Il ne faut pourtant pas s’y tromper, Francis Carrier n’appelle pas à une lutte des générations, « au contraire, je veux faire partie d’une société », insiste-t-il. « Mon combat n'est pas corporatiste, mais inclusif. Je porte un message universaliste et non identitaire. En tant que LGBT+, j'ai d'ailleurs toujours appelé à l’acceptation et à l’égalité. Mettre les gens en opposition n'apporte rien », assure le co-fondateur du CNAV. Pour lui, cet idéal d’égalité s’atteindra par un changement culturel et sociétal ainsi qu’une libération de la parole. En organisant des réunions dans plusieurs régions, le CNAV s’emploie d’ailleurs favoriser les échanges sur ce sujet. « Le féminisme s'est développé grâce aux femmes, les luttes LGBT+ grâce aux LGBT+, le combat pour les vieux doit passer par les vieux », conclut Francis Carrier en rappelant qu’une lutte collective se nourrit de l’addition des singularités : « Le ”je” est essentiel dans tout combat ».  

Article publié dans le numéro de juillet d'Ehpadia à consulter ici
 



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