La crise liée à l'épidémie de Covid-19 a posé de nombreuses questions d'ordre éthique, structurel, organisationnel, et médical. Qu'en retenez-vous en premier lieu ?
Pr Olivier Guérin : Que notre système de santé, et plus particulièrement l’hôpital public, a tenu malgré tout. Pour autant, cette crise a montré la désorganisation complète de la prise en soins dans notre pays, notamment pour les personnes âgées polypathologiques. Que ce soient les capacités de structuration et de projection, le positionnement des agences, les liens sur les territoires, beaucoup d’aspects organisationnels sont objectivement assez catastrophiques.
Dans ce contexte, comment les gériatres se sont-ils organisés ?
Pr Olivier Guérin : La gériatrie hospitalière a dû mener de front deux volets, l’aspect intra-hospitalier d’une part et la gestion du territoire d’autre part. À l’hôpital, les gériatres se sont retrouvés en première ligne au côté des réanimateurs et infectiologues, avec des volumes importants de patients à gérer. La mise en place d’unités Covid dédiées et la nécessaire permanence des soins ont demandé des efforts monstrueux de réorganisation de nos filières. En parallèle, il nous a fallu assurer une mission de soutien aux EHPAD, en raison de l’absence d’anticipation territoriale. Cela s’est traduit par le positionnement de gériatres hospitaliers référents de territoire et la création de 350 hotlines gériatriques partout en France. L’objectif étant, au-delà du conseil, d’assurer le maintien de l’offre de soins et de la juste hospitalisation.
Quel constat a posteriori ? Ces dispositifs ont-ils fonctionné ?
Pr Olivier Guérin : Oui, je pense que nous avons réussi à répondre à une grande partie de la demande, même si en l’absence d’anticipation et d’organisations homogènes, les hotlines ne sont pas parvenues à couvrir l’intégralité du territoire. Dans ces cas, la gestion de crise était assurée par les seules ARS. A posteriori, je constate que ces dispositifs ont permis de renforcer les coopérations entre les centres de régulations et les gériatres hospitaliers. Il faut absolument rendre pérennes ces organisations, qui ont su montrer une véritable efficacité.
Malgré tout, les EHPAD paient un lourd tribut à l'épidémie de Covid-19. Était-ce évitable ou peut-on y voir les conséquences de faiblesses structurelles ?
Pr Olivier Guérin : C’est difficile à évaluer, mais il est certain que le modèle d’EHPAD à la française souffre de faiblesses structurelles, que nous ne découvrons pas avec cette crise. Chaque année, les résidents de ce type de structures payent également un lourd tribut à la grippe. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, la difficulté de former de manière efficace les personnels dans un contexte de fort turn-over, lié notamment à la pénibilité du travail. À cela s’ajoutent des difficultés d’approvisionnement en matériel, mais aussi de mobilisation de capacités soignantes en cas de crise, médecins et IDEC notamment. Mais le cœur du problème est en réalité lié au profil des personnes accueillies et au côtoiement de deux types de populations : des personnes très comorbides, polypathologiques, qui relèvent d’une prise en charge de type Unités de Soins Longue Durée (USLD) d’une part, et de résidents dont la perte d’autonomie est liée à des troubles cognitifs, sans réels soucis somatiques, d’autre part. Cela s’est révélé d’autant plus flagrant pendant la crise, notamment, lorsqu’il a fallu confiner en chambre des résidents déambulants, qui pouvaient générer un risque pour d’autres, insuffisants cardiaques ou respiratoires. À mon sens, ce mélange des populations est désormais inconcevable et le modèle de l’EHPAD doit vraiment évoluer.
Vers quoi ?
Pr Olivier Guérin : Dans la plupart des cas, la perte d’autonomie est liée à la maladie et les personnes malades doivent relever du sanitaire. Le démantèlement des USLD en France, depuis 20 ans, et le déport de gens malades vers le secteur de la dépendance, étaient de très mauvaises idées. À l’inverse, les dépendants cognitifs ont besoin d’un environnement bienveillant. Moins ils voient de blouses blanches, mieux ils se portent. Il leur faudrait donc des structures plus petites, qui recréent de vrais domiciles, et avec des équipes complètement rodées aux approches non-médicamenteuses.
Pour en revenir à l’épidémie, la maladie n’est pas la seule à avoir fait des dégâts. Il faut aussi compter avec les effets des mesures de protection mises en place pour contrer sa propagation. Est-ce quantifiable ?
Pr Olivier Guérin : Sur ce point, la SFGG a réalisé une enquête nationale très complète, avec le soutien de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA). Plus de 1 000 EHPAD ont répondu aux trois volets qu’elle contient : un questionnaire assez poussé pour les directeurs, un pour les médecins coordonnateurs et enfin un dernier à destination des psychologues et psychomotriciens notamment. Nous attendons encore les résultats, qui devraient être très instructifs. En revanche, je suis convaincu que l’interdiction de faire entrer les professionnels de santé extérieurs dans les établissements a été une erreur. Dans la balance bénéfice-risque, ce choix a plutôt penché du côté du risque.
Plus globalement, quelles leçons tirez-vous de la gestion de crise ?
Pr Olivier Guérin : Cette expérience nous montre qu’en cas de survenue d’un évènement aigu, du type Covid-19, nous sommes très perfectibles dans notre prise en soins des personnes âgées polypathologiques à risque de perte d’autonomie. Nous avons ainsi encore beaucoup à faire en termes de réhabilitation précoce. Plus globalement, il faut vraiment tirer les enseignements de cette crise et engager la mise en place d’un véritable système de soins territorialisé. Et le soin de premier recours doit être la clé de voûte de ce système. En la matière, je crois beaucoup aux Conseils Territoriaux de Santé (CTS). Enfin, il faudra permettre aux professionnels du premier recours de travailler correctement sur les patients les plus complexes, en abandonnant définitivement tout ce qui est tarification à l’acte, au profit d’une rémunération au parcours.
Dernière question, la page du Covid-19 n'est pas encore tournée et il faut déjà penser à la canicule. Quels conseils ?
Pr Olivier Guérin : Il faut utiliser ce que l’on a fait pour le Covid-19, je pense notamment aux hotlines et aux gériatres référents de territoire, pour gérer les canicules à venir, en créant de véritables logiques de parcours. Ces dispositifs doivent évidemment concerner les EHPAD, mais si l’on en avait la capacité, il faudrait également les ouvrir à la ville. Actuellement, malgré les difficultés et la fatigue, nous nous battons pour maintenir les hotlines, car il s’agit clairement du nouveau modèle à adopter. Au-delà de cela, nous sommes heureusement dans une période où le virus circule beaucoup moins. Cela nous permettra de gérer de manière plus conventionnelle l’épisode caniculaire qui se prépare. Là encore, si l’on réfléchit en termes de bénéfice-risque, il y aurait plus de risques à être trop inhibé par la crainte du Covid-19, qu’à mettre en œuvre une organisation de gestion des risques plus classique.
Pr Olivier Guérin : Que notre système de santé, et plus particulièrement l’hôpital public, a tenu malgré tout. Pour autant, cette crise a montré la désorganisation complète de la prise en soins dans notre pays, notamment pour les personnes âgées polypathologiques. Que ce soient les capacités de structuration et de projection, le positionnement des agences, les liens sur les territoires, beaucoup d’aspects organisationnels sont objectivement assez catastrophiques.
Dans ce contexte, comment les gériatres se sont-ils organisés ?
Pr Olivier Guérin : La gériatrie hospitalière a dû mener de front deux volets, l’aspect intra-hospitalier d’une part et la gestion du territoire d’autre part. À l’hôpital, les gériatres se sont retrouvés en première ligne au côté des réanimateurs et infectiologues, avec des volumes importants de patients à gérer. La mise en place d’unités Covid dédiées et la nécessaire permanence des soins ont demandé des efforts monstrueux de réorganisation de nos filières. En parallèle, il nous a fallu assurer une mission de soutien aux EHPAD, en raison de l’absence d’anticipation territoriale. Cela s’est traduit par le positionnement de gériatres hospitaliers référents de territoire et la création de 350 hotlines gériatriques partout en France. L’objectif étant, au-delà du conseil, d’assurer le maintien de l’offre de soins et de la juste hospitalisation.
Quel constat a posteriori ? Ces dispositifs ont-ils fonctionné ?
Pr Olivier Guérin : Oui, je pense que nous avons réussi à répondre à une grande partie de la demande, même si en l’absence d’anticipation et d’organisations homogènes, les hotlines ne sont pas parvenues à couvrir l’intégralité du territoire. Dans ces cas, la gestion de crise était assurée par les seules ARS. A posteriori, je constate que ces dispositifs ont permis de renforcer les coopérations entre les centres de régulations et les gériatres hospitaliers. Il faut absolument rendre pérennes ces organisations, qui ont su montrer une véritable efficacité.
Malgré tout, les EHPAD paient un lourd tribut à l'épidémie de Covid-19. Était-ce évitable ou peut-on y voir les conséquences de faiblesses structurelles ?
Pr Olivier Guérin : C’est difficile à évaluer, mais il est certain que le modèle d’EHPAD à la française souffre de faiblesses structurelles, que nous ne découvrons pas avec cette crise. Chaque année, les résidents de ce type de structures payent également un lourd tribut à la grippe. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, la difficulté de former de manière efficace les personnels dans un contexte de fort turn-over, lié notamment à la pénibilité du travail. À cela s’ajoutent des difficultés d’approvisionnement en matériel, mais aussi de mobilisation de capacités soignantes en cas de crise, médecins et IDEC notamment. Mais le cœur du problème est en réalité lié au profil des personnes accueillies et au côtoiement de deux types de populations : des personnes très comorbides, polypathologiques, qui relèvent d’une prise en charge de type Unités de Soins Longue Durée (USLD) d’une part, et de résidents dont la perte d’autonomie est liée à des troubles cognitifs, sans réels soucis somatiques, d’autre part. Cela s’est révélé d’autant plus flagrant pendant la crise, notamment, lorsqu’il a fallu confiner en chambre des résidents déambulants, qui pouvaient générer un risque pour d’autres, insuffisants cardiaques ou respiratoires. À mon sens, ce mélange des populations est désormais inconcevable et le modèle de l’EHPAD doit vraiment évoluer.
Vers quoi ?
Pr Olivier Guérin : Dans la plupart des cas, la perte d’autonomie est liée à la maladie et les personnes malades doivent relever du sanitaire. Le démantèlement des USLD en France, depuis 20 ans, et le déport de gens malades vers le secteur de la dépendance, étaient de très mauvaises idées. À l’inverse, les dépendants cognitifs ont besoin d’un environnement bienveillant. Moins ils voient de blouses blanches, mieux ils se portent. Il leur faudrait donc des structures plus petites, qui recréent de vrais domiciles, et avec des équipes complètement rodées aux approches non-médicamenteuses.
Pour en revenir à l’épidémie, la maladie n’est pas la seule à avoir fait des dégâts. Il faut aussi compter avec les effets des mesures de protection mises en place pour contrer sa propagation. Est-ce quantifiable ?
Pr Olivier Guérin : Sur ce point, la SFGG a réalisé une enquête nationale très complète, avec le soutien de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA). Plus de 1 000 EHPAD ont répondu aux trois volets qu’elle contient : un questionnaire assez poussé pour les directeurs, un pour les médecins coordonnateurs et enfin un dernier à destination des psychologues et psychomotriciens notamment. Nous attendons encore les résultats, qui devraient être très instructifs. En revanche, je suis convaincu que l’interdiction de faire entrer les professionnels de santé extérieurs dans les établissements a été une erreur. Dans la balance bénéfice-risque, ce choix a plutôt penché du côté du risque.
Plus globalement, quelles leçons tirez-vous de la gestion de crise ?
Pr Olivier Guérin : Cette expérience nous montre qu’en cas de survenue d’un évènement aigu, du type Covid-19, nous sommes très perfectibles dans notre prise en soins des personnes âgées polypathologiques à risque de perte d’autonomie. Nous avons ainsi encore beaucoup à faire en termes de réhabilitation précoce. Plus globalement, il faut vraiment tirer les enseignements de cette crise et engager la mise en place d’un véritable système de soins territorialisé. Et le soin de premier recours doit être la clé de voûte de ce système. En la matière, je crois beaucoup aux Conseils Territoriaux de Santé (CTS). Enfin, il faudra permettre aux professionnels du premier recours de travailler correctement sur les patients les plus complexes, en abandonnant définitivement tout ce qui est tarification à l’acte, au profit d’une rémunération au parcours.
Dernière question, la page du Covid-19 n'est pas encore tournée et il faut déjà penser à la canicule. Quels conseils ?
Pr Olivier Guérin : Il faut utiliser ce que l’on a fait pour le Covid-19, je pense notamment aux hotlines et aux gériatres référents de territoire, pour gérer les canicules à venir, en créant de véritables logiques de parcours. Ces dispositifs doivent évidemment concerner les EHPAD, mais si l’on en avait la capacité, il faudrait également les ouvrir à la ville. Actuellement, malgré les difficultés et la fatigue, nous nous battons pour maintenir les hotlines, car il s’agit clairement du nouveau modèle à adopter. Au-delà de cela, nous sommes heureusement dans une période où le virus circule beaucoup moins. Cela nous permettra de gérer de manière plus conventionnelle l’épisode caniculaire qui se prépare. Là encore, si l’on réfléchit en termes de bénéfice-risque, il y aurait plus de risques à être trop inhibé par la crainte du Covid-19, qu’à mettre en œuvre une organisation de gestion des risques plus classique.
Études et retours d’expérience
Dès les débuts de l’épidémie, la SFGG a lancé un certain nombre d’études et enquêtes, visant à nourrir les retours d’expérience indispensables à la compréhension de la maladie, et à la prévention de nouvelles vagues épidémiques. Fin juin par exemple, une étude sur la symptomatologie des plus de 70 ans diagnostiqués Covid+, concluait en la complexité du diagnostic pour ce public, les malades étant le plus souvent « pauci-symptomatiques, voire asymptomatiques ; et les rares symptômes sont souvent frustres et aspécifiques », justifiant une vigilance de tous les instants en médecine gériatrique et plus particulièrement en EHPAD. L’étude observationnelle « Covid old » s’intéresse, pour sa part, au suivi à plus long terme des patients âgés qui ont survécu au Covid. Notamment pour évaluer l’impact sur leur autonomie résiduelle à terme. « Il y a un certain nombre de projets toujours en cours, car il nous faut un suivi longitudinal des effets de la crise », explique ainsi le Professeur Guérin.
Article publié sur le numéro de juillet d'Ehpadia à consulter ici.